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Full text of "Choix de farces, soties et moralités des XVe et XVIe siècles recueillies sur les manuscrits originaux et publiées par Émile Mabille"

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Choix de 
farces 



Emile Mabille 



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FARCES 

< 

SOTIES & MORALITÉS 



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RARETÉS BIBLIOGRAPHIQUES 



TIRÉES A CENT EXEMPLAIRES NUMÉROTÉS 



Exemplaire t^C 3¥ 



Marseille. - Typ. «t lui», cayer & et*, m* saint-Fsrrtai. 57. 



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CHOIX 

DE FARCES 

SOTIES & MORALITÉS 

DES XV* ET XVI* SIÈCLES 
recueillies sur les manuscrits originaux 

ET PUBLIÉES 

Par Emile MABILLE 
TOME II 




A NICE 

chez J. GAY & FILS, ÉDITEURS 
rue Sainte- Clotilde, 3 

1875 



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FARCE NOUVELLE 

DE 

COLIN, fils de THÉNOT, etc. 



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NOTICE 



LA FARCE NOUVELLE 

De COLIN, fils de THÉNOT 



Colin , fils de Thénot , revient de Naples, 
où il n'a pas fait d'autres prouesses que de 
s'enfuir et d'arrêter un pèlerin endormi 
qu'il prend pour un Turc. Dans son 
voyage, il pille la maison d'une pauvre 
paysanne, qui vient se plaindre à Thénot 
père , magistrat du lieu. Thénot fait mine 
d'interroger son fils, qui fait mine, de son 
côté , de ne rien entendre à la plainte , et 



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8 



FARCE NOUVELLE 



se perd en récits de Pexpédition de Naples. 
Ce quiproquo, entre la plaignante, le juge 
et Colin, rappelle une des meilleures 
scènes de la farce de Pathelin et fait tout 
le comique de la pièce, dont le dénoue- 
ment est le renvoi de la plaignante sans 
justice et le mariage de Colin avec la fille 
de Gautier Garguille. — Evidemment, 
l'auteur a eu l'intention de ridiculiser les 
justices de village. 

Cette pièce a déjà été imprimée dans le 
Recueil de plusieurs Farces; Paris, Nico- 
las Rousset, 1642, in-12. 



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FARCE NOUVELLE 

DE 

COLIN, fils de THÉNOT, le maire 

qui vient de Naples 
et qui amène un Turc prisonnier 

A QUATRE PERSONNAGES 

C'est à sçavoir 
Thénot le maire, Colin son fils, la Femme 

le PÈLERIN 



thenot commence. 

Vive Thenot , monsieur le maire, 

Et aussi mon grant fils Colin , 

Or pleust à Dieu qu'il peust tant faire 

De mettre le Grand Turc à fin. 

Il reviendra quelque matin. 

Il y a tantost six mois passés 



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10 



FARCE NOUVELLE 



Qu'il partit , sans point de procès. 
Se une foys il a entreprins , 
Rende soy Naples , ii est prins, 

10 Et se garde qui se aymera, 
Car ja homme n'eschappera , 
Qu'il ne soit prins ou mis à mort , 
Ou soit à droit ou soit à tort ; 
Car ii est fier comme ung lion. 
Jamais ne fut tel champion , 
Ne plus vaillant homme de guerre , 
Pour tost s'en retourner grant erre. 
Mon grant père par hardiesse, 
En cuydant acquérir noblesse, 

20 Pour ce qu'il reculoit derrière, 
Tomba dedans une carrière, 
Où mourut sans qu'on l'en pust traire. 

LA FEMME 

Dieu vous gard , monseigneur le maire, 
Je viens vous demander justice. 

THENOT 

C'est grant fait que d'avoir office. 
Et bien ! bien je vous la feray. 

LA FEMME 

Ha! monseigneur, je vous diray, 



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DE COLIN FILS DE THÉNOT 1 l 

Il est venu un gentil astre , 
L'autre jour jusques à mon astre, 
30 Après disner la relevée, 
Tuer ma poule grivelée , 
Celle qui pondoit les gros œufs. 

THrNOT 

Estoit il tout seullet ou deux? 
Declairez moy bien vostre cas. 

LA 'FEMME 

Deux? nenny, ils n'y estoyent pas : 
Il n'y avoit qu'ion grand testu , 
Qui avoit un jaèques vestu, 
Qui mist ma grand jeline à fin. 

THENOT 

Seroit ce point mon fils Colin? 
40 II frappe de taille et d'estoc. 

LA FEMME 

Monseigneur, il tua mon coq , 
Et il me fit de grans oultraiges , 
Encore prit il deux fromaiges; 
Ma foy, c'est un maulvais garçon . 



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FARCE NOUVELLE 



THBNOT 

IL fault faire information , 

Pour pçavoir lequel ce peult estre. 

LA FEMMB 

Encore mist sa jument paistre 
En mon jardin pour me pis faire. 
Il est vray, monseigneur le maire , 
50 La vérité sera trouvée. 

COLIN 

Le diable y ait part à Tannée , 
Mon père, hau ! je euis venu. 

THBNOT 

Colin, es tu ja revenu? 
Comment se porte la bataille ? 

COLIN 

Vous n'avez garde que j'y aille 
Tant que j'auray la vie au corps. 

THENOT 

En y a-t-il beaucoup de morts? 
Racompte moy de tes nouvelles , 
Et où sont Vicestre et Grenelle? 



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DE COLIN FILS DE THÉNOT 



13 



60 Tu n'en fais point de mention. 

COLIN 

Je les laissay en un buisson , 
Où ils se tindrent pour l'assault. 
Ils trembloyent, et si faisoit chault, 
Mais c'estoit dé paour seulement. 
Mais dictes moy, vostre jument, 
Mon père , est elle pas venue ? 

THBNOT 

La jument! mais Tas tu perdue? 

COLIN 

Par ma foy, quelqu'un la happa. 
Veez vous, elle m'eschappa; 
70 Je ne sçay qui c'est qui la print , 
Je luy avoye dit qu'elle s'en vint , 
Par bieu, et si luy en feis signe. 

LA FEMME 

Vous avez tué ma geline , 

Je vous congnoye bien maintenant. 

COLIN 

Et puis quant je alloye escoutant 
Ce que fusmes près de l'armée . 

T. II. 2 



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14 



FARCE NOUVELLE 



On dit qu'il y avoit journée. 
Par ma foy, vous debvez penser 
Qu'ils estoyent tous vestus de fer, 
80 Et j'avoye mon jacques de touelle. 

THENOT 

Ne feistes vous pas du rebelle, 
Quant à l'armée arrivastes ? 

LA FEMME 

Ha par ma foy vous la tuastes 
D'une dague à large rouelle. 

COLIN 

Trois jours devant je vins à elle; 
Doibs je dire, j'ouys sonner 
Clairons, et moy de retourner : 
Il ne faisoit pas bon au lieu. 

LA FEMME 

Vous la prinstes, par la croix bieu, 
90 Alleluya coquelicoq ; 

Et puis vous tuastes mon coq ; 
Mon sieur, faites m'en justice. 

THENOT 

Colin , ce fut à toy grand vice , 
Se tu feis tout ce qu'elle dit. 



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DE COLIN FILS DE THÉNOT 15 



COLIN 

Cuydez vous que j'ay grand despit, 
Quant je perdis mon grand bonnet 1 
La vieille me print au collet , 
Et me vint bailler sur le groing , 
Par bieu , cinq ou six coups de poing. 
100 Et print mon bonnet sur ma teste. 

THENOT 

Et comment estoys tu si beste 
De te gouverner de telle sorte? 

COLIN 

Le corps bieu , la vieille estait forte. 
Si ne m'eust elle pas battu , 
Sans m'avoir premier abattu. 
Mais toutefois j'en eus très bien. 

THENOT 

Hé deaî Colin, je t'avoye bien , 
Par bieu , racompté la leçon ; 
Tu ne congnois pas la façon. 
110 Du temps qu'à la guerre j'estoye, 
Scez tu bien comme je faisoye ? 
Je tenoye tousjonrs pied à boulle. 



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1 



16 FARCE NOUVELLE 

LA FEMME 

Vous eustes mon coq et ma poulie. 
Je vous supplye, despeschez moy. 

THENOT 

Colin , ce fut mal fait à toy , 
Te laisser battre à une femme ! 
Qu'eusses tu fait contre un gendarme, 
S'il t'eust présenté le combat? 

COLIN 

J'ay tousjours fuy tel débat 
120 Plein de péril et hazardeux. 

THENOT 

C'est bien loin d'en combattre deux 
A la fois ; mais je ne voy point 
Ton jacques dessus ton pourpoint. 
Où est il? 

COLIN 

Je l'abandonnay 
A qui le voulut et donnay 
Pour fuir plus légèrement; 
Je le feis si secrètement 
Que j'eschappay par devant tous. 



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DE COLIN FILS DR THENOT 



17 



LA FEMME 

He par ma foy, ce fustes vous 
130 Qui moniastes en ma chasière ; 
J'estoye en nostre cheneviere ; 
Il fault dire du bien le bien. 
Monsieur le juge, de rien 
Je ne vouldroye jamais mentir. 

COLIN 

Mon pere, pour vous advertir, 
Pensez que j'ay esté vaillant, 
Combien que j'aye perdu contant 
A Tannée mainte bonne brague. 

THBNOT 

Colin , hé monstre ça ma dague ; 
140 Longtemps a que ne l'ay tenue. 

colin 

Ah 1 tredame, je l'ay perdue ; 
La vieille la print au fourreau ; 
Se n'eusse recullé tout beau , 
Je cuyde qu'elle m'eust frappé. 
Mais toutesfoys j'en eschappé , 
Car, par ma foy, je m'en fouy. 



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FARCE NOUVELLE 



LA FEMME 

Vous la prinstes dedans le ny ; 
Aussitost que vous arrivastes. 
Je scay bien que vous la fourastes 
Incontinent en la besace. 

COLIN 

Quant nous fusmes devant la place, 
Je ouy sonner drain, drain, drain; 
Et moy de regarder le train ; 
L'un crioit : Torche, frappe, tire. 

THENOT 

Qu'en scez tu ? 

COLIN 

Je l'ay ouy dire. 
Quant je ouys cryer à l'enseigne, 
Je vins derrière une montaigne 
Etlaissay tous mes compaignons. 

LA FEMME 

Vous les mangeastes , mes oysons , 
Ou seul ou avec vos supposts. 



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DE COLIN FILS DE THENOT 19 



THENOT 

Vous ne venez pas à propos , 
Vous ne faites que fatrouiller. 

COLIN 

Que venez vous icy brouiller? 
Je regny. 

THENOT 

Ha, tout beau, Colin; 
Reculez vous; il est hardy. 

LA FEMME 

Tout aussy vray comme je dy. 
Ha je vous ay bien advisé , 
Combien que soyez desguisé ; 
Vous aviez un hocqueton 
Tant espès. 

THENOT 

Nous en jugerons 
En temps et en lieu , ne vous chaille. 

LA. FEMME 

Vous qui mangeastes ma poulaille , 
Et aussy feistes vous mon coq , 



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20 



FARCE NOUVELLE 



Faictes moy justice , Thenot. 
Se doibs je dire, monsieur, 
Il me feit plus grand deshonneur, 
Et je vous diray la manière : 
Il empoigna ma chambrière . 
N'estoit il pas bien mal courtois? 
180 Et si luy fist deux ou trois fois. 

THENOT 

Est il vray? 

LA FEMME 

Ouy je l'y trouvay. 
Le cas est congneu et prouvé. 
Il n'y convient point d'autre preuve. 

COLIN 

Mais cuydez vous, quant on se trouve 
Seulement à les voir de loing , 
Il est bien de fouyr besoing, 
On y donne de mauvais coups. 

LA FEMME 

Thenot, je veuil parler à vous; 
Se vous n'en faictes aultre chose 
190 De ma cause , je m'y oppose: 
Fornicalement j'en appelle. 



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DE COLIN FILS DE THENOT 21 

Aussy fault que je me rebelle. 
Je mettray alligation 
Sans vostre juridiction, 
Et m'en croiray aux accidens. 

THENOT 

Par bieu , en despit de vos dens , 
Meshuy rien je n'en jugeray. 

LA FEMME 

Il me souffit, je m'en iray. 

COLIN 

Affin que plus on ne devine , 
200 Ce fut moy qui tuay la geline. 
Elle couroit , je saulx à cop 
A tout ma dague, et feiz : sop ; 
Je la frappay en trahison. 

THENOT 

Colin , la femme avoit raison 
De se plaindre par devant moy. 
Mais escoute que te diray : 
Comment eus tu la hardiesse 
De la poursuivre ainsy sans cesse , 
Tant que tu l'eusses mise à mort ? 



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22 



FARCE NOUVELLE 



COLIN 

210 Mon père, j'ay bien fait plus fort, 
Et pour cela, ne plus ne moins, 
J'ay bien aultre chose en mains. 
Ce n'est pas comme de la vasche. , 
Que comme vaillant et non lasche , 
Vous amenastes une foys. 

THENOT 

As tu ouvré de plus grant poix , 
Mon fils Colin , pour abregier? 

COLIN 

Mon pere, j'ay un prisonnier, 
Que j'ay attrapé en chemin. 
220 Je croy que c'est un Sarrazin , 
Car il parle baragonnoys. 
Je le prins au pied de la croix , 
En venant de Naples à Romme. 
Oncques ne vistes un tel homme. 
J'ay esté vaillant , Dieu mercy. 

THENOT 

Colin , ameine lny icy. 
Velà bien besongné à toy. 



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DE COLIN FILS DE THENOT 23 
COLIN 

Venez doncques avecques moy, 
Ou autrement je le lerray : 
230 II porte un grand baston ferré , 
Par Nostre-Damo ! je le crains . 

THENOT 

J'ay mon bon baston à deux mains. 
Où Tas tu bouté en prison? 
S'il n'est bien en forte maison , 
Je l'attraperay se je puis. 

COLIN 

Je l'ay bouté derrière l'huys ; 
Il n'a garde d'en eschapper, 
Véez le là. 

THENOT 

Veult il point frapper? 

COLIN 

Regardez le moy à la trogne. 

THENOT 

240 Ça, niaistre, ça, je vous empoigne: 
Regardez se je suis vaillant. 



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M 



FARCE NOUVELLE 



L'as tu bien conquesté si grant ? 
Colin , tu estois vaillant homme. 

COLIN 

Et je le prins au premier somme , 
Cependant comme il dormoit , 
Et j'escoutay comme il ronfloit. 
Alors le couraige mecreut. 

THBNOT 

De paour qu'il ne t'aperceust , 
Il estoit saison de le prendre. 
250 Combien de rançon veulx tu rendre? 
Je regny. 

LE PELERIN 

Got , fadracot garare vestud my , 
Touffe du lain mistrande. 

THENOT 

Mais que diable est ce qu'il demande? 
Je n'entends point son jobelin. 
Parle-t-il françois ou latin ? 
Je ne scay sur ma conscience. 

LE PELERIN 

0 fillos aes dimplorare, 
Filos meretre salment. 



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DE COLIN FILS DE THENOT 25 
THENOT 

Veult il faire son testament? 
260 Demande luy cujus casus. 
De ton latin en scez tu plus? 
Tu as tant esté à l'escolle. 

LE PELERIN 

Sardore sore basterolle , 
Hohart , zohart , belle fredrac. 

THENOT 

Àvoit il rien en son bissac , 
Quant tu le prins premièrement? 
Tu le happas subtilement , 
Tu fus vaillant, il le falloit. 

COLIN 

Et je le prins où il dormoit ; 
270 Je n'en fusse pas arrivé. 

LE PELERIN 

Âaon , mac god tu te rivé , 
Tison grac errac rencontre. 

THENOT 

Mais quelle lettre est ce qu'il montre ? 

T. II 3 



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26 FARCE NOUVELLE 

Monstre la moy, mon fils Colin ; 
Je cuyde qu'elle soit en latin. 
Uni... uni... universis; 
Les lettres sont si très menues, 
Que je ne scay là où j'en suis. 
Inspec... inspec... 

COLIN 

Inspecturis. 

THENOT 

280 Ah ! tredame, tu l'as trouvé ! 
Ma foy, j'estoye fort troublé, 
Je la lisoye à revers. 
Mais il est tant de maulvais clercs ! 
Pensez que voicy mal escript ; 
Je cuyde que la lettre dit 
Qu'il s'en va en pèlerinage. 

LE PELERIN 

Ouel , ouel. 

THENOT 

Il me disoit bien en courage, 
Ma foy, qu'il estoit pèlerin. 
Je le congnoys bien au latin. 
290 Le diable y ait part à la prise! 



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DE COLIN FILS DE THENOT 27 



J'en eusses eu la robe grise , 
Colin , et ta mère de mesme ; 
S'il eust esté sarrazinesme, 
Il eust payé six mille solz, 
Deslye ie tost, nous sommes folz. 
Tu n'as pas fait nouveaux exploix. 
Il fault aller tenir nos plaiz. 
J'ay bien aultre chose à faire. 

LE PELERIN 

Queste hore commil consere 
300 Horty hort, myne copue gigois. 

THENOT 

Il s'en va à Firlibois , 

Par bieu ! à Sainte Katherine : 

Colin , la lettre le décline. 

COLIN 

Vous n'entendez pas la façon ; 
C'est Nostre-Dame de Clairon , 
Par ma foy, je croy^ qu'il y a. 

THENOT 

Par saint Pere , c'est donc cela. 
Je n'avoy pas bien extringué : 



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28 



FARCtë NOUVELLE 



Ou je cuyde que le curé 
310 Y mist de maulvais latinage. 

COLIN 

Quant je Pavisay au visaige , 
Afin que bien je vous dye , 
Je cuydoie qn'il fut de Turquie , 
Pour ce qu'il estoit si très grant. 

thenot 

Laissons ceci pour maintenant. 
Que ay je fait de mon escriptoire? 
Il me convient mettre en mémoire 
Le cas de mes mémoriaux. 
Gomment espeleray je houseaulx f 

COLIN 

3?0 Housiaulx (s, i, a, u, x,) siaulx. 

THENOT 

Ha ! par saint Jacques tu dis bien , 
Mais je ne scays se je oublye rien 
Il fault regarder hault et bas. 

LA FEMME 

Hé ! perdray je Poye et le jars, 
La poulie et le coq ensemble? 



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DE COLIN FILS DE THENOT 



29 



Fault il qu'on desrobbe et emble 
Aux povres gens ainsy le leur? 
Je m'en voye par devers monsieur. 
Et luy porteray de mes pommes ; 
330 Monsieur, entre nous qui sommes 
Sujets dessus vostre justice, 
Vous nous debvez garder police. 
Escoutez, car voicy pour vous, 
Et pour Dieu, que me soyez doux , 
Onc ne tastastes de tel pomme. 

THENOT 

Venez vous comparoir soubz l'orme, 
Vous aurez expédition. 

LA FEMME 

Vecy encore en mon giron 
Du fromage un bon quartier. 

THENOT 

340 II fait bon estre officier. 

Ils ont tousjours de grans profils. 
Colin , escoute ça, mon fils • 
Il est saison que on desplace. 

LA FEMME 

Je voys mener paistre ma vasche , 
n. 4 3 



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30 



FARCE NOUVELLE 



Je reviendray incontinent. 
Vous me trouverez seurement 
Soubs l'orme où vous m'avez dit. 

THENOT 

Colin , par bieu , j'ay grand despit , 
Qu'il me convient aller à pied. 
350 Le grand diable en soit loué , 
Quant tu perdis nostre jument. 

COLIN 

Le diable soit au perdement , 
Et quant onc je fus à la guerre. 
Jamais ne partiray ma terre , 
Par le sang bieu ! ne mon pays. 

THENOT 

Que feras tu? 

COLIN 

Ventre saint gris ! 
Tousjours me venez harier, 
Et brief, je me veux marier. 

THKNOT 

Marier ! et à quelle fille ? 



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DE COLIN FILS DE THENOT 31 



COLIN 

360 A la fille Gaultier Garguille. 
Je seray son mary, par bieu ! 
J'ay parlé à elle en un lieu, 
Et si el me dit l'aultresfoys , 
Quant nous escossions les poys 
De mon cousin Pierre Truette. 

THENOT 

Elle est assez belle fillette , 
Se ne fust que elle est boiteuse. 

COLIN 

C'est tout un, elle est plus joyeuse. 

THENOT 

Or laissons icy ce propos ; 
370 II fault aller tenir nos plès ; 
J'ay bien aultre chose à faire. 
Allons, demourras tu derrière? 

COLIN 

J'y voys après incontinent. 

THENOT 

Or sus, sus, allons vistement. 



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32 FARCE NOUVELLE 

Il fault aller nos plais tenir. 
376 Adieu , jusques au revenir. 



Icy fine la farce de Tiievot et Colin son filz. Imprimé 
nouvellement à Lyon , en la maison de feu Barnabé 
Ghaussard, près Nostre-Dame de Gomfort, mille 
cinq cents quarante et deux, le XX dejuing. 



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FARCE NOUVELLE 

A CINQ PERSONNAGES, etc. 



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NOTICE 

SUR 

LA FARCE NOUVELLE 

A CINQ. PERSONNAGES, etc. 



Cette farce est, par son style et par la 
manière dont elle est conçue . digne d'être 
rapprochée de la Parce de Pathelin. 

Une fille , fort novice, s'est laissée faire 
un enfant par le beau Colin ; la mère , fu- 
rieuse, jure qu'elle aura raison du séduc- 
teur ou qu'elle lui arrachera les deux yeux. 
« Comment , dit-elle , 



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36 



FARCE NOUVELLE 



Faire en ma fille , en ma maison , 
Et puis dire pour tout potage : 
Il n'y a point de témoignage. 
Pour le premier, on le verra. » 

Elle se décide à faire citer le beau Colin 
devant l'official. C'est là un trait de mœurs 
pris sur le vif. On sait qu'au XVI* siècle, 
l'Eglise connaissait encore de toutes les 
causes concernant les mariages. 

Quoi qu'en dise le beau Colin, il y a dans 
la cause présente un témoin : c'est un bon- 
homme qui a tout vu et entendu par un 
trou fait à la cloison. Il vient déposer; 
mais le vieillard , au lieu de parler du fait 
pour lequel il est cité , se perd en digres- 
sions qui n'ont aucun rapport avec la 
cause , et parle toujours du temps passé, 
qui , à son avis , était bien préférable au 
temps présent. Les différentes péripéties de 
cette déposition, les alternatives d'espé- 
rance et de crainte qu'éprouvent les par- 
ties , rendent le procès fort comique ; et le 
juge , après avoir bien tout examiné, com- 
pulsé, pesé, rend son arrêt en ces termes : 



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A CINQ PERSONNAGES, ETC. 



37 



« Nous disons Colin avoir tort , 
Et de ce doibt estre bien fort 
Blasmé et en payer l'amende. 
Le mettons pour bien ordonner, 
A cent sols , sans plus sermonner 
D'amende, et le condamne aussi 
De demander grâce et mercy 
A Marion à deux genoux ; 
Et payera à la justice 
Les frais sans que sortir il puisse 
De prison , premier que payer. 
Puis espousera Marion , 
En grande consolation. 
Voilà mà sentence rendue. » 

Cette sentence est reçue par les cris de 
joie des deux femmes et les malédictions 
du beau Colin. 



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FARCE NOUVELLE 

A CINQ PERSONNAGES 

C'est à sçavoir la Mère, la Fille, le Tesmoing, 
l'Amoureux et l'Official. 

— ~-K*GfJb*^* — 

la hère commence. 

Par la croix dieu! j'aymeroys mieulx 
Luy avoir crevé les deux yeulx . 
Que je n'en eusse la raison. 
Faire en ma fille, en ma maison l 
Et puis dire pour tout potage : 
Il n'y a point de tesmoignage. 
Pour le premier, on le voyra. 

LA FILLE 

Par ma foy, bien fait ce sera : 

C'est un trompeur ; est pas ma mère? 



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FARCE NOUVELLE 



LA MÈRE 

10 Ah! que j'ay de douleur amère 
De ta fortune, Marion ! 
Il fault que nous te marions , 
Sy debvoit tout fol enrager. 

LA FILLE 

Hé dea ! pour quoy vint il rager 
Tant de foys , comme vous sçavez. 

LA MÈRE 

Ah 1 Marion , pas vous n'avez 
L'esprit encore assez propice, 
Pour vous garder de la malice 
De tel deable. 

LA FILLE 

Vous dictes vray. 

LA MÈRE 

20 Sy veulx je scavoir de vray, 
Qu'en dira le juge, par dieu! 
Je me suys trouvée en maint lieu, 
Où j'ay fait consultation 
Du cas ; mais la probation 
Nous fera gaigner nostre cause. 



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A CINQ PERSONNAGES, ETC. 



Avec ce j'entends bien la glose. 
Ta connois bien Guillot des Noix? 

LA FILLE 

Ouy, ma mère, je le congnoys, 
C'est celuy qui très bien l'ouyt , 
30 Quant à sa chambre m'enclouist, 
Et qu'il disoit : ma Mari on , 
Très bien ensemble nous serions , 
Voulez vous pas estre ma femme? 
Quant luy répondys sur mon ame , 
Que j'en estoys très bien contente. 
Lors y fist tout à son entente ; 
Car ainsy vous me l'aviez dict. 
Guillot est homme de crédit; 
On le croira du premier coup. 

LA MÈRE 

40 C'est très bien dict : à coup, à coup , 
Je m'en voys, sans me consister, 
Chercher sergent pour le citer; 
Je croy qu'il n'y faillira pas. 

LA FILLE 

Allons, ma mère, pas à pas ; 
Sa maison n'est pas loing d'icy. 
ii. i 



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42 



FARCE NOUVELLE 



l'official 

Il y a longtemps que n'yssy 
Hors du logis , pour aller voir 
Mes gens et faire mon debvoir. 
Je m'y en voy tout maintenant. 
50 Celuy qui est droit maintenant , 
Est prisé de Dieu et des hommes. 

la fille et la mère parlant ensemble dans 
la salle revenant du sergent. 

LA FILLE 

Mère, c'est icy, nous y sommes. 

LA MÈRE 

Ge chemin est beaucoup plus court. 

LA FILLE 

Par mon serment voicy la court , 
Je le congnoy. Hé ! que de gens ! 
Que Ton médise des sergens , 
Qui vouldra , très bien je m'en loue. 
Il ne me fera plus la moue . 
Le trompeur ; monsieur le sergent 
60 A esté bien fort diligent 
De le citer. Voycy la lettre, 



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A CINQ PERSONNAGES, ETC. 43 

Où il ne fault oster ne mettre. 
La voylà la relation. 

L'OFFICIAL 

Mon Dieu , quelle exclamation ! 
D'où vient ce grand bruit et tempeste? 

LA MERE 

Marion , tu es fine beste , 
Il fault finement sermonner. 

l'official 

Ceulx cy ne me font questionner 
De leur procès. 

LA MÈRE 

Dieu vous gard , sire. 

LE JUGE 

70 Or ça ! qu'avez vous à me dire? 

LA MÈRE 

Monsieur, la plus grand trayson , 

Meschanceté et déraison 

Que vous ouystes de vostre âge. 



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44 



FARCE NOUVELLE 



l'official 

Or bien , qui est le personnage 
Qui vous a fait tel deshonneur? 

LA MERE 

Ce n'est pas un très grand seigneur, 
C'est un nommé le beau Colin. 
Que le chaud mal , saint Mathelin , 
Luy puisse ronger la cervelle ! 
80 J'avoys une fille très belle , 
Le meschant Ta deshonorée. 
Et voycy la povre esplorée, 
Qui de luy justice requiert. 

l'official 

Est il cité comme il appert? 
Aultrement n'y saroys que faire. 



Que pour cela on ne diffère , 
En voycy la relation. 



Oh ! quelle babilation. 
Laisse moy parler si tu veulx. 
90 Monsieur, de Colin je me deulx, 



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A CINQ PERSONNAGES, ETC. * 5 

Qui a ma fille violée ; 
Puys dit qu'il ne l'a accolée, 
Combien qu'il luy ait sur bon gage, 
Promis sa foy en mariage. 

l'offigial parlant à la fille. 
Est il vray ? or dictes, ma mye ! 

LA FILLE 

Je n'estoye pas si endormye, 
Que ne me soye bien aperceue 
D'avoir esté ainsy deceue. 
Mais à nul mal je n'y pensoys. 

l'official 

Colin , viens cy, où que tu soyes , 
Aultrement te mets en default. 

le beau colin entre. 

Il ne fault point cryer plus hault. 
Me voycy en vostre plaisance. 

LE JUGE 

Or viens ça, par ta conscience 
As tu congneu charnellement 
Cette fille icy? 



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46 



FARCE NOUVELLE 



COLIN 



Elle ment ; 



Je m'en rapporte à tout le monde. 

LA MÈRE 

Il ment ! le malheureux immonde , 
Je le veulx prouver fermement. 



110 Or le prouvez donc vistement , 
Je vous en donne tout loysir. 
Maie mort me puisse saisir, 
Sy je luy fus rien de ma vie. 



Par la doulce Vierge Marie , 
Monsieur, sans attendre plus loing , 
Voycy à présent mon tesmoing. 
Examinez le s'il vous plaist. 

l'official 

Tesmoing , parlez sans plus de plaist. 
Hé î ne me direz vous pas vray ? 

le tesmoing entre. 

120 Pour en savoir juger si bien , 



COLIN 



la mère 




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A CINQ PERSONNAGES, ETC. 47 



Je ne vous mentiray de rien. 
Je vous diray ce que j'en sçay. 
Au temps passé que commençay, 
A devenir frisque et dispos , 
On mettoit chopines et pots 
Sur la table , et ne servoit on , 
En buffet par un valeton , 
Comme on fait en ce temps cy. 

LE JUGE 

Hé ! à quel propos tout cecy? 

LE TESMOING 

130 Monsieur, monsieur, sauf vostre grâce, 
Il ne falloit farder sa face, 
Pour sembler belle à son amy, 
On ne parloit mot ne demy, 
De mules qui ne mangent point. ' 

l'official 

Vrayment, voycy un aultre point. 
Que veulx tu dire par ce dict ? 

LE TESMOING 

Je dis qu'on chevauche à crédit , 
En espargnant avoyne et foin. 
11 n'estoit point si grand besoin 



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48 FARCE NOUVELLE 

1 40 De dénoter robe à basquine , 
Pour ma dame la monsequine , 
Ny de monsieur Tacoustrement , 
Qui chevauche en cuir seulement. 
0 chamberieres bien faschées , 
De voir si bien enharnachées 
Vos metresses de belle crote, 
Pagel allez quérir une hote. 
Vous l'emplirez certainement 
Des fanges, qui ont plainement 

150 Gâté la robe à vostre maistre. 

Par mon ame ! on deut mener paistre 
Ces muletons, muleurs, muliers, 
Qui pour ne gaster leurs souliers , 
Mettent grand peine pour se jour, 
Se rompent le col nuit et jour, 
A faire la tourne bouelle. 
Au temps de la dague à rouelle , 
Et des souliers à la poulaine , 
On ne faisoit telle .fredaine , 

160 Que telles folyes m'ayst dieux ! 

l'official 
Mais qu'est cecy ? 

LE TESMOING 

Je suis des vieux , 



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A CINQ PERSONNAGES, ETC 



Je parle de longtemps , monsieur. 
l'official 

Vous estes un plaisant rieur : 
Repondez à ce qu'on demande. 

LE TESMOING 

Monsieur, monsieur, la chose est grande, 
Je parle d'une bonne guise ; 
J'ay veu qu'on ne prenoit chemise 
Fors que de deux moys en deux moys. 
J'ay veu la mesure de bois 
170 Estre pour six beaux sols donnée 
Qui a bien valu cette année , 
Quarante six , c'est piteux cas. 
J'ay veu qu'il n'estoit advocas , 
Que deux ou trois en ceste ville. 
J'ay veu deux cens cas, voire mille, 
Qui sont au rang des trépassés. 

l'official 

Encore n'est ce pas assez. 

Sus , respondez , sans faulte nulle. 

LE TESMOING 

J'ay veu qu'il n'estoit qu'une mulle , 
180 Et une seule damoyselle , 

T. II 5 



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FARCE NOUVELLE 



En ceste ville layde ou belle. 
Maintenant on en voit un cent. 
Je ne scay pas que cela sent , 
Sinon que tous nobles deviennent , 
Et sy plus d'aultres en surviennent , 
Adieu vous dy la marchandise. 
J'ay veu qu'on ne parloit de frise , 
De vasquines , ne vertugalles , 
Mais la maladie de galles , 

190 On a trouvé l'invention. 

J'ay veu qu'on disoit un syon , 
Maintenant c est un casaquin , 
Dont est venu le damasquin , 
Qu'on grave en espée, en dague ! 
Pour vray, madame sainte Brague 
En fut la première inventrice. 
J'ay veu qu'on no trou voit nourrice 
Dedans la ville de Rouen ; 
Mais j'asseure par saint Ouen, 

200 Que pour une on en trouve douze. 
D'où vient que tout chacun se house , 
Pour se pourmener à l'église ! 
Par mon ame ! quant je m'avise , 
Tout est tourné à la rebours : 
Les moutons d'or n'ont plus le cours, 
On ne parle que de ducas , 
Et pour l'or à douze caras , 



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A CINQ PERSONNAGES , ETC. 



51 



On en fait bien à dix et huit. 
J'ay veu qu'on ne blessoit de nuit 

210 Les passans coxme l'on voit faire ; 
Maintenant tout est à refaire, 
Et tourne sens dessus dessoubz. 
Du temps qu'on disoit meshureux , 
On ne parloit point de catere ; 
Maintenant n'y a eau ne terre , 
Qui ne soit toute catereuse. 
0 que la femme estoit heureuse 
Et riche , qui au temps passé 
Portoit en son cul rebrassé 

220 De belle sarge ou ostadine. 
0 quelle sembloit godine , 
Qui avoit en toute saison , 
Robe de drap en sa maison , 
Fourrée de beaux dos de gris , 
Ou de grignos ! ventre saint gris ! 
Il m'est advis que je les voy. 

l'official 

Je croy qu'il est tout hors de soy, 
Mon amy répons à propos. 
Je croy qu'avez rinché les pos. 
230 Je ne parle du temps jadis , 
Respondez à mes propres dis : 
Avez vous veu le beau Colin 



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52 



FARCE NOUVELLE 



Avoir fait le heurte belin 
Avec ceste fille présente ? 

LE TESMOING 

Vous ne voulez pas que je mente ; 
Aussy no veux je , monseigneur, 
Acouster; voycy le greigneur 
Compte que vous oystes oncques. 

l'ofpigial 

Or sus , amy, despechez doncques , 
240 Je ne veuil estre icy meshuy. 

LE TESMOING 

Encor ne say je où j'en suis. 
Attendez , monsieur, je disoys 
Que le monde est creu de dix fois , 
Plus grand qu'il n'estoit de mon temps . 
Et pour ce que bien je n'entens , 
Car tout est changé , comme on voit , 
Sy on le fait comme on souloil ; 
Je ne scay que je vous doibs dire. 
Mais sy vous diray je sans rire 
250 Et sans mentir, que si on fait 
D'œuvre des noces , en effet , 
Comme on faisoit au temps passé , 
Tout en est moulu et cassé. 



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A CINQ PERSONNAGES, ETC. J 

Je le jure certainement. 

l'official 
Tu le penses donc vrayment? 

LE TESMOING 

Ouy, monsieur, et cy le tesmoingnc, 
Sy on fait ainsy la besongne, 
Comme on faisoit quant je fus né. 

l'official 

C'est honnestement tesmoigné. 

Tu les vis donc tous deux ensemble ? 

LE TESMOING 

Ouy, monsieur, comme il me semble , 
Mais Marion estoit dessoubz. 

l'official 

Quans escus, quans testons ou sous 
Luy bailla-t-ii ? 

LE TESMOING 

Je n'en scay rien. 
Toutefois, je vous diray bien , 
Et jureray sur ma conscience , 
Qu'el prenoit tout. en pacience, 

5 



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54 



FARCE NOUVELLE 



Et sans cryer fort haultement. 
Faictes, dit-el, tout bellement, 
270 Colin , vous estes bel et sage ; 
Mais c'est à nom de mariage , 
Entendez vous, mon doux amy? 
Colin ne faisoit l'endormy, 
Mais ce mot un peu luy despleut. 

l'official 

Toutefois enfin le voulut. 
Feist il pas ? 

LE TESMOING 

Ouy, ouy, sans faulte ; 
Car elle avoit la jambe haulte, 
L'une sur l'aultre fermement , 
Qui n'estoit grand esbatement 
280 Au povre Colin , qui mouvoit. 
Mais elle dit qu'il ne feroit 
Rien qui fust , sans qu'il feist promesse 
De l'espouser et sans finesse , 
En l'église de leur village. 
Colin disoit : huy, huy, formage ! 
Contrefaisant la basse voix. 
Un formage, par sainte Croix 1 
Pour un formage n'en feray 
Un coup, tant que vive seray, 



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A CINQ PERSONNAGES, ETC. ™ 

290 Dit-elle. Ce voyant, Colin 
Se laissa mener en belin, 
Et bander tout à son aise. 
, Il vous la tâtonne, il la baise , 
Il vous la couche sur le dos , 
Et après cinq ou six bons mos , 
Feist entrer Jean fray au bisacq. 
Le chalic faisoit tic, tac , 
Cric , crac, cric, croc ; c'estoit merveille. 

l'official 
Par où l'oyes tu? 

LE TESMOING 

Par l'oreille , 
300 Car on n'oyt pas du bout du nez. 
J'avoys rompu le bout d'un ays 
D'entre leur maison et la mienne ; 
Bien que chascune m'appartienne , 
Et par là voyois clerement 
Tout leur joly contentement, 
Que je vous ay cy raconté. 

l'official 

Vrayment tu m'en as bien conté. 
Faictes approcher les parties. 



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56 



FARCE NOUVELLE 



LA MÈRE 

Hé bien ! serons nous départies? 
310 Avons nous bien prouvé le cas? 

l'official 

Point ne fault avoir d'avocas , 
Car la matière est toute claire. 

LA FILLE 

Qu'en est ce? 

l'official 

Vous voulez vous taire. 
Nous disons Colin avoir tort, 
Et de ce doibt estre bien fort 
Blasmé et en payer l'amende. 
Oultre combien qu'il se défende , 
Mais à tort , d'avoir rien promis 
À Marion , nous l'avons mis 
320 Et mettons , pour bien ordonner, 
A cent sous , sans plus sermonner, 
D'amende , et le condamne aussy 
De demander grâce et mercy 
A Marion , à deux genoux , 
Nues jambes , entendez vous? 
Et payera à la justice , 



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A CINQ PERSONNAGES, ETC. & 



Les frais, sans que sortir il puisse 
De prison, premier que payer. 

LA MÈRE 

Or sus , as tu bel abayer ? 

LE JUGE 

330 Tout beau î et sy l'ay condamne 
D'estre ce jourd'huy mené , 
Avec un tabour et loure, 
Et là sans que plus loin on coure , 
Il espousera Marion , 
En grande consolation. 
Voylà ma sentence donnée. 

LA MÈRE 

Dieu vous envoyé bonne journée , 
Tant vous estes homme de bien ! 

COLIN 

Un gros vilain estron de chien 
340 Luy puisse estouper les babines ! 
Voylà des frauldes féminines ! 
J'en ay. 

LE TESMOING 

Il convient prendre en gré. 



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58 



FARCE NOUVELLE 



COLIN 

Qu'au gibet sois tu estranglé ! 
C'est par toy que je suis ainsy 

LE TESMOING 

Pourquoy luy faisoys tu ainsi? 

Messieurs , Colin qui veult promettre , 

Soit par foy, par tesmoins ou lettre , 

11 doibt sa parolle tenir ; 

Car on doibt quelque jour venir, 
350 Devant le très souverain juge, 

Qui vis et trespassés juge, 

Et qui menteur trouvé sera , 

Par ses méfaits le jugera. 

Il n'est donc qu'estre véritable , 

Et en foy très constant et stable. 

Nous ne pensons avoir dit chose 

Où aulcuns puissent faire glose. 

Si on s'en sent piqué ou point , 

Messieurs, on ne l'entendons point. 
360 Mais prions le Dieu supernel , 

Vous donner repos éternel. 

En prenant congé de ce lieu, 
363 Une chanson pour dire adieu. 

FIN 



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FARCE 
DU POULIER 



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NOTICE 

SUR 

LA FARCE DU POULIER 



« Mari jaloux, qui a femme jeune et 
jolie, ne peut dormir que d'un œil » , a dit 
La Fontaine. C'est le cas du mari qui 
figure dans cette Farce. — a Je gage, dit-il, 
en voyant un galant dans la rue : 

Que c'est l'un de nos amoureux. 
Je ne saroys dormir pour eux; 
Us ne cessent toutes les nuits : 
L'un viendra heurter à mon huys , 
Puis l'aultre à mes fenestres rue ; 
L'un siffle ou chante emmi la rue; 

T. II. 6 



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62 



FARCE 



C'est pitié t Je n'ay nul repos. 

Encore , si j'en tiens propos 

A ma femme , elle meveult battre. » 

La femme, de son côté , n'est pas satis- 
faite d'avoir un mari si sot, si malotru et 
si jaloux que le sien. Elle ne peut faire un 
pas que son mari ne lui demande : a D'où 
venez-vous? Que faites-vous? Qui était 
avec vous? Qu'est ceci? Qu'est cela? » La 
surveillance à laquelle elle est soumise 
l'exaspère , et elle se promet bien , aussitôt 
qu'elle en trouvera l'occasion , de donner 
quelque réalité aux soupçons de son mari 
et de faire venir son amoureux. Elle en- 
voie, dans ce but , son mari à la foire pour 
acheter des pourceaux. Le mari part , non 
sans avoir juré toutefois que s'il trouve 
jamais un amant chez elle, il le tuera net. 

— « Quoi I dit la femme , pans confession ? 

— Ouy, certes, répond-il, et pour tant 
qu'il vous en souvienne. » Malgré cette me- 
nace, aussitôt qu'elle est libre , la femme 
fait venir son amoureux, mais le mari 
rentre chercher son chapeau , car il pleut, 



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DU POULIER 



63 



et Tarnant , caché sous une couverture, en 
ressort tout tremblant. 

« Que le feu saint Anthoine Tarde. 
Je n'en seray d'une heure asseur , 
Je n'ay membre qui ne me tremble, » 

dit-il. 

Pour se donner du cœur, les deux amants 
se mettent à table. Mais le mari s'aperçoit 
qu'il n'a pas de cordes pour lier ses pour- 
ceaux, et il revient en chercher. Cette fois, 
l'amoureux , surpris , n'a d'autre ressource 
que de grimper au poulailler (le poulier) 
et de se cacher parmi les poules ; mais le 
mari l'aperçoit, et, dans la colère où cette 
vue le met, il entre dans une fureur telle, 
qu'il semble hors de sens. La femme pleure 
et s'écrie que son pauvre mari est devenu 
fou; une voisine arrive et s'informe du 
cas. — « Ha ! répond le mari , jamais je ne 
me serais douté que ce galant se fût au 
poulailler caché pour faire pondre nos 
poules. — Ha I répond la femme , n'est-ce 
que cela? Je n'osais vous le dire : c'est un 
pauvre homme que poursuivaient tantôt 



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64 



FARCE 



deux quidams qui voulaient le tuer et qui 
m'a suppliée en grâce de le laisser se ca- 
cher là et de n'en rien dire jusqu'à ce que 
les quidams fussent partis. » Le mari n'est 
pas dupe de ce conte : il veut tout de bon 
tuer le galant , et , pour lui faire entendre 
raison , la femme , le galant et la voisine 
tombent sur lui avec ensemble et le frap- 
pent à qui mieux mieux, et le pauvre mari, 
accablé de coups , de s'écrier : 

« Mes amis , je vous crie mercy, 
Au nom de Dieu et des apostres ; 
Tous mes biens sont vostres. 
Mon cousin à cause du bas, 
Tout est à vous et haut et bas. 
N'espargnez point nostre maison. » 

Et le pauvre jaloux, cocu, battu et fai- 
sant contre fortune bon cœur, conclut en 
disant : 

« Qu'il n'y a homme tant soit fin . 
Et tant eut-il la tête fine , 
Que fine femme enfin n'affine. » 




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FARCE DU POULIER 



A QUATRE PERSONNAGES 

C'est à sçavoir le Maistre, la Femme, l'Amoureux 
& la Voysine. 



l'amoureux commence et dit : 

Est il un plus grand plaisir 
Que de joyr à son plaisir 
D'une dame de bonne grâce, 
Au lict avec elle gésir, 
Et l'accoler à son loisir, 
Pendant qu'on a lieu , ou espace ? 
Je croys que non et sans falace. 
Par une mon cœur est ravy. 
De la baiser point ne m'en lasse , 
10 En la voyant , je me solasse. 

ii. 6 



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FARCE 



C'est la plus belle qu'onques vy ! 
Mais elle a un sot do mary. 
De l'ostel n'eslongneroit d'un pas. 
Sang bieu ! je le feray mary. 
Sans luy je feroys bien mon cas , 
Sy perdre debvoys mon repas. 
Je feray encore un voyage 
Par devant son logis. 

LE MARY 

Je gaige 

Que c'est l'un de nos amoureux. 

20 Je ne saroys dormir pour eux. 
Ils ne cessent toutes les nuits : 
L'un viendra heurter à mon huys, 
Puys l'aultre à mes fenestres rue ; 
L'un siffle ou chante emmy la rue. 
C'est pitié î Je n'ay nul repos. 
Encore sy j'en tiens propos 
À ma femme , elle me veult battre. 
Quoy 1 fait elle, laissez les esbattre 
Ce sont jeunes gens, quel raison ! 

30 Mais qu'a affaire la maison , 

Ma rue , ma fenestre ou ma porte , 
Ma femme , moy, qu'on leur apporte 
Tels reveillements sur la nuit. 
Par la mort ! cela trop me nuit. 



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DU POULIER 



67 



Mais s'il advient qu'un je rencontre, 
Je luy bailleray mal encontre , 
Me deust il couster cent escus. 
Le grand deable y ayt part, aux culs ! 
Je dis ceux qui sont pleins de noyse , 
40 Gomme celuy de ma bourgeoise. 
Mais sy j'en veux avoir raison , 
Tenir me fault en ma maison , 
Afin d'en garder le pisot. 

LA FEMME 

Femme qui a un mary sot 
Est bien malheureuse en ce monde. 
J'en ay un , que Dieu le confonde ! 
Sot , malotru et tant jaloux , 
Que manger le puissent les loups. 
Je ne saroys avoir loysir 
50 D'accomplir en rien mon plaisir. 
Contemplez un peu sa manière. 

LE MARY 

D'où venez vous ? 

LA FEMME 

De là derrière , 
D'arrimer un peu mon ménage. 



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FARCE 



LE MARY 

Par la mort bieu ! vous faictes rage 
D'aller, tenez vous à l'ostel. 

LA FEMME 

Qui vist jamais un homme tel 

Que vous? Mais quant je vous escoute, 

Il semble que soyez en doubte 

De moy? 

LE MARY 

Ah ! par ma foy, non suys. 
Mais toutefoys sy je poursuys, 
Et qu'en poursuyvant.... 

LA FEMME 

Quoy? 

LE MARY 

Rien, rien; 
Vous êtes trop femme de bien. 
Mais le cul ! 

LA FEMME 

Quoy? 



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DU POULIER 



69 



LE MARY 

Il est honneste , 

Je n'en dis mot. 

LA FEMME 

Estes vous beste ! 
Je m'ebays que n'avez honte. 

LE MARY 

Ma mye , sy j'ay la langue prompte 
A dire quelque petit mot , 
Il n'y a icy que vous qui m'ot , 
Mais sy j'y en trouve un. 

LA FEMME 

Un quoy? 
70 N'est point vostre esprit à requoy. 

LE MARY 

N'en parlons plus et nous taisons. 

LA FEMME 

Il me semble qu'il fut saison 
De nous estorer de pourceaux; 
Il nous en fault deux ou trois beaux 
Pour nostre estoyrement. 



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70 



FARCE 



LE MARY 

Saint Jean ! voyre. 

LA FEMME 

Irez vous demain à la foire , 
Mon amy , veoir son en ayrons ? 

LE MARY 

Ouy, ouy, nous y aviserons. 

LA FEMME 

Hé ! gardez icy et j'iray. 

LE MARY 

80 Non feray, vertu bieu ! non feray. 
J'y veulx aller moi mesme, mais... 

LA FEMME 

Hé ! tousjours à son entremais. 
Dea , n'arez vous jamais repos ? 

LE MARY 

Pourquoy leur tenez vous propos ? 

LA FEMME 

A qui? 



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DU POULIER 



71 



LE MARY 

Je n'en parle plus, mais.... 

LA FEMME 

Quel mais ? 

LE MARY 

Qu'ils n'y viennent jamais ; 
Gardez-vous de les escouter. 

LA FEMME 

Vous voulez donc doubter 
De moy ? 

LE MARY 

Je ne daigneroys , mais... 

LA FEMME 

90 Quel mais ? quel mais ? 

LE MARY 

Je vous promais , 
Touchez là, sy je les tenoys, 
Sans espargner foyble ne fort , 
Je ruroys tant que je pourroys 
Dessus. Tip , toup , tap , tu es mort. 



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72 



FARCE 



LA FEMME 

Sans confession ? 

LB MARY 

Droit ou tort, 
Et pour tant qu'il vous en souvienne. 

LA FEMME 

Je garderay bien qu'il n'en vienne 
Pieça céans. 

LE MARY 

Je vous en prye, 
Se n'en voulez estre marrie : 
100 Je les turoys tous sans pitié. 

LA FEMME 

Je ne vous cherche qu'amitié. 
Tout vostre bon plaisir feray. 

LE mahy 

Ça donc ) de l'argent et j'iray 
A la foire des pourceaux querre. 



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DU POULIER 



73 



LA FEMME 

Or, tenez et allez grand erre , 
Afin que vous revenez d'heure. 

l'amoureux 

Mon homme s'en va grand aleure , 
Je m'en voys visiter sa femme. 
Puys qu'il est party. Bon jour, dame ! 
Où est ce mary ? il est en voye. 

LA FEMME 

Pour l'amour de vous je l'envoyé 
A la foyre , mon amy doux ! 
Car il est de moy tant jaloux , 
Qu'il ne s'ose eslongner d'un pas. 

l'amoureux 

Ma doulce amye , croyez d'un cas , 
Que j'ay fait plus de mille tours 
Par cy devant depuis huit jours , 
Désirant fort à vous parler ; 
Mais tousjours lo voyois aller 
Ou venir à l'entour de vous. 

LA FEMME 

Il en fait autant tous les coups , 
Tant est plien de sotte folye. 



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FARCE 



LE MARY 

Ah vertu goy ! voicy la pluie. 
Bren! et le temps estoit tout beau. 
Je m'en voys quérir mon chapeau , 
D'estre mouillé seroye marry. 

LA FEMME 

Mon amy, voicy mon mary. 

l'amoureux 

Hé vertu bieu ! que ferons nous? 

la femme 

Mettez vous souldain à genoux , 
Icy soubz cette couverture. 

l'amoureux 

Voicy pour moy maie adventure; 
Le deable en emport le vilain ! 

LA FEMME 

Où retournez vous sy souldain ? 
A vous amené un pourceau ? 

LE MARY 

Jo venoys quérir mon chapeau , 



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DU POULIER 



75 



Car vous voyez , le temps se brouille ; 
Et puis , vous sçavez , la pluye mouille. 
Je le veux porter puisqu'il pleut. 

LA FEMME 

Et est ce tout ce qui vous meut ? 
140 Tenez , le voyla ! que d'ensongne ! 

LE MARY 

Voycy une belle besongne ; 
Que fait cy ceste couverture ? 

LA FEMME 

Laissez la , sotte créature. 
Allez où vous devez aller. 

LE MARY 

Non feray, tu as beau parler, 
Je la veux remettre en son lieu. 

LA FEMME 

Et non ferez , sire , par dieu ! 
On en puisse avoir froide joye. 

LE MARY 

Pourquoy? 



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76 



FARCE 



LA FEMME 

Je ne veux pas qu'on voye 
150 En ce point vos nécessités. 

LE MARY 

Je congnoistray vos vérités 
A ce coup cy. 

LA FEMME 

Estes vous y vre ? 
Je prye à Dieu qu'il m'en délivre ; 
Puisqu'il vous fault conter l'affaire , 
Là dessoubs sont tous mes menus. 

LE MARY 

Quels menus? d'où sont ils venus? 
Ses menus, hau !... qu'est ce à dire? 
Ses menus ! je n'en congnoys nus. 
Ses menus ! voycy pour rire. 

LA FEMME 

460 Mais vous le fault il tant redire ! 
Ce sont mes menus drapelets, 
Quant ils sont sales et lais , 
Encore les fault il blanchir. 



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DU POULIER 



77 



LE MARY 

Bien ! va , je te laisse vesir. 
Je voys parfaire mon voyage. 

LA FEMME 

Hé allez ! que la maie rage 
M'en puisse bien tost despecher. 
Sortez dehors mon amy cher, 
J'ay eu pour vous belle bezarde. 

l'amoureux 

170 Que le feu saint Anthoine Tarde! 
Je n'en seray d'une heure asseur. 
Je n'ay membre qui ne me tremble. 
Que debvons nous faire, ma seur ? 

LA FEMME 

Il nous fault banqueter ensemble , 
C'est le meilleur, comme il me semble. 
Je voys apprester le disner. 

LE MARY 

Ah ! voycy bon pour retourner, 
Quant mes affaires je recordes , 
Je n'ay point apporté de cordes, 
180 Pour mes deux pourceaux amener. 
il 7 



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78 FARCE 

Il fault à l'hostel retourner 
En quérir. 

LA FEMME 

Jésus , mon amy ! 
Voycy revenir mon mary. 
La mort m'en puisse despecher. 

l'amoureux 

Et où me pourray je cacher? 
Pleust à Dieu qu'il fust en la bière. 

LA FEMME 

Entrez souldain icy derrière 
Et montez à nostre poulier. 

l'amoureux 

La fiebvre le puisse relier 1 
190 II me donne bien de la peine. 

LA FEMME 

Mais qui est ce qui vous ramaine ? 
D'aller et venir ne cessez. 

LE MARY 

Hé ! Jehan ! j'ay du trouble assez , 
Puisqu'il fault que je le recorde : 



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DU POULIER 



70 



J'avoys oublié une corde , 
i Pour nostre pourceau amener. 

C'est ce qui me fait retourner. 
S'ils s'enfuyent je les perdroye. 

, LA FEMME 

On en puisse avoir maie joye. 
200 Et est-ce tout ce qu'il vous fault? 
J'en voye quérir une là hault. 

LE MARY 

Va tost. 

LA FEMME 

Attendez moy à l'huys. 

LE MARY 

A l'huys! non feray sy je puys. 
A l'huys! vertu bieu ! qu'est-ce à dire? 
A l'huys ! à l'huys ! voicy pour rire. 
A l'huys ! hé je feray le deable. 
A l'huys ! voicy pas bonne fable ! 
A l'huys ! vilaine ; à l'huys ! infâme. 
A l'huys ! fait ma deable de femme. 
210 A l'huys ! il y a quelque chose, 

A l'huys! fault entrer, mais je n'ose. 
Se c'est un homme de courage , 



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80 



FARCE 



IL m'empongnera au visage. 
A l'huys! mot, je l'aray en trayson ! 
Attendre à Fhuys de ma maison. 
A l'huys ! par le grand dieu ! 
Le feray mourir en ce lieu. 
Voylà une trop grosse honte. 
Ah 1 vertu bieu 1 voycy mon compte. 
220 A l'huys I voilà un de mes gens. 
A l'huys ! hé ! venez vous céans 
Humer les œufs de nos guelines? 
Il me fault faire bonnes mines , 
Mais que des cordes el m'apporte. 

LA FEMME 

Tenez, en voilà une bien forte. 
C'est assez pour en lyer deux. 
Hastez vous bien tost , car je veux 
Nous estorer mieux qu'onques mais. 

LE MARY 

Jamais , jamais, jamais, jamais. 

LA FEMME 

230 Helas ! et qu'est-ce qui vous point ? 
Ilau ! mon amy, parlez vous point ? 
A vous failly à vos ames , hays ? 



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DU POULIER 



81 



LE MARY 

Jamais, jamais, jamais, jamais. 

LA FEMME 

Helas ! à Payde , bonnes gens , 
Mon mary est troublé de sens. 
Venez tost icy, je vous prye. 

LA VOISINE 

Hé qu'est-ce ? 

LA FEMME 

Mon mary, ma mye , 
Helas ! je cuyde qu'il afoile. 

LA VOISINE 

Allez, allez, vous estes folle. 
Voisine, ne vous tuez mye. 

LA FEMME 

Helas ! voisine ma mye, 
Voicy un piteux entremais. 

LE MARY 

Jamais, jamais , jamais , jamais. 



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82 



FARCE 



LA VOISINE 

Helas ! mon voisin , mon amy, 
Seignez vous. C'est quelque ennemy 
Qui ne vous veult laisser en paix. 

LE MARY 

Jamais, jamais, jamais, jamais. 

LA FEMME 

Helas! mon amy, bon courage! 
Pour vous je feray un voyage 
250 A Saint Mary, je vous promais. 

LE MARY 

Jamais, jamais, jamais, jamais. 

LA VOISINE 

Ma voysine , courez bien vite , 
Allez quérir de l'eau bénite ; 
Car je croy qu'il voit le mauvais. 

LE MARY 

Jamais, jamais, jamais, jamais. 
Jamais ne me fusse doubté 
Qu'il se fust au poulier bouté 
Pour faire pondre nos guelines. 



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DU POULIER 



83 



LA VOISINE 

Hé qu'est-ce ? il montre par signes , 
260 Nostre Dame ! hé est-ce cela? 
Sus! sus! sortez, galant, de là. 
Maintenant serez chaponné. 

LA FEMME 

Helas! il est tout estonné , 
Le povre homme , il n'y pense point; 
Mais je vous veulx dire le point , 
Pourquoy en ce poulier s'est mis : 
Deux gros ribaux ses ennemis , 
Le cachoyent à grans coups d'espée , 
La teste luy eussent coupée , 
270 S'il ne l'eust gaigné au courir, 
Et pour le povre secourir, 
Je l'ay fait entrer en ce lieu , 
Et m'a prié , au nom de Dieu , 
Que je ne l'encuse à personne. 
Aussy tost est venu un homme 
Le chercher son baston tout nu , 
Sy fure, que s'il l'eust tenu , 
Il l'eust tué et despeché. 

LE MARY 

Ah vertu bieu ! c'est trop presché. 



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84 FARCE 

280 Vous ne m'en ferez plus mouler. 
Ça, hastez vous de dévaler, 
Que je ne vous fasse descendre. 

l'amoureux 

Pour Dieu ! veuillez leur donc défendre 
Qu'ils n'entrent: ce sont mauvais garçons. 

LA. VOISINE 

Encor fault-il que nous sachions 
Le débat. 

l'amoureux 

Pour un coup d'espieu. 

LE MARY 

Estes vous monté de par dieu ? 
Or descendez de par le deable. 
Puysqu'ii fault que tant je rable , 
290 Sancti sanctorum descendez. 

l'amoureux 

Pour l'honneur de Dieu , attendez 
Qu'ils soient bien loin de la maison. 

le MARY 

Hé ! vertu bieu t que de blason , 
Hé! allez faire vostre plainte. 



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DU POULIER 



85 



l'amoureux 

Non feray, je n'ay point de crainte , 
Mais que j'aye l'espée au poing , 
Je ne les doubte près ne loing t 
Sang bieu 1 je leur rompray les dens 

LE MARY 

Ah 1 voycy mes batteurs de gens ! 
Je puisse être de mort oultré , 
Se maintenant n'estes chastré. 

LA FEMME 

Hél mon mary. 

LA VOISINE 

Hél mon voisin. 
Helas hé 1 c'est vostre cousin , 
Bien prochain de vostre lignage. 

LE MARY 

Hé ! vertu bieu 1 quel cousinage ! 
C'est donc lignage de cul 1 
Cousin, me faites vous cocu ? 
Ha ! je vous feray fauverete. 
Hél vertu bieu! langue safrete. 
Mais quoy 1 vous le venez défendre? 

T. II. 8 



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FARCE 



Hé ! vous avez le cul trop tendre. 
De par tous les grands deables voyre. 

LA VOISINE 

Ça , vous avez tort , mon compère. 
Pour Dieu 1 cessez ceste querelle. 

LE MARY 

Hé ! vous en estes maquerelle 1 
De par tous les grands deables, voyre ! 
Vous servez pour avoir à boire , 
Vostre nez en est tout violet. 

LA VOISINE 

Maquerelle 1 ce mot est lait. 

LE MARY 

Par saint Jehan ! sy le faictes peindre. 

l'amoureux 
Vous avez tort , cousin. 

LE MARY 

Tant geindre ! 
Mort bieu, hé ! y revenez vous ? 

LA VOISINE 

On nous debvroit meurdrir de coups 



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DU POULIER 

De nous laisser tant ledanger. 
Sus ! voisine , sans calenger , 
Qu'il me soit de coups tout noircy. 

LE MARY 

Mes amys , je vous crye mercy, 
Au nom de Dieu et des apostres. 

LA VOISINE 

Que dis-tu ? 

LE MARY 

Tous mes biens sont vos très. 

LA VOISINE 

330 Suis-je telle comme tu dis ? 

LE MARY 

Sy j'ay rien dit, je m'en desdis, 
Pour Dieu ! laissons tous ces debas. 

LA FEMME 

Je te mettray en paradis. 

LE MARY 

Sy j'ay rien dit , je m'en desdis. 
Ou injures ou mauldis , 



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88 



FARCE 



Mon cousin à cause du bas, 
Sy j'ay rien dit, je m'en desdis. 
Pour Dieu ! laissons tous ces esbas. 
Tout est à vous et baut et bas. 
340 N'espargnez point nostre maison. 

l'amoureux 
Grand mercy, cousin. 

LE MARY 

C'est raison. 
Couvrez vous , il n'y a de quoy 
Dont il me fault taire tout quoy, 
Pour congnoistre et venir à fin. 
Il n'y a hommes tant soit fin , 
Et tant eust il la teste fine , 
Que fine femme en fin n'affine ; 
Et pour oster nostre merencolye , 
349 Une chanson , je vous en prye. 



FIN 



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FARCE NOUVELLE 

A SIX PERSONNAGES, ETC. 



8 



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NOTICE 

SUR 

LA FARCE NOUVELLE 

A SIX PERSONNAGES, ETC. 



Cette Farce porte , comme la précédente, 
le nom de Farce du Poulier. Mais le sujet 
en est différent; c'est à proprement parler 
celui du conte des Rémois, de La Fontaine : 
môme plan, môme intrigue et môme dé- 
nouement. Ici, au lieu d'un peintre, c'est 
un meunier qui est le héros et deux gen- 
tilshommes de campagne qui remplissent 
les rôles des deux voisins. Un poulailler 



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92 



FARCE NOUVELLE 



qui permet de voir dans le moulin , et dans 
lequel les deux gentilshommes, venus pour 
coucher avec la meunière, sont obligés de 
se cacher, donne son nom à la Farce, qui 
dépasse un peu , par son étendue, les limi- 
tes ordinaires de ces sortes de pièces. 

La Farce du meunier et des deux gentils- 
hommes offre une certaine ressemblance 
avec celle de Naudet (Bibliothèque elzévi- 
rienne: Ancien Théâtre, 1. 1 , p. 250), qui, 
pendant que le seigneur de son village 
était couché avec sa femme, trouve moyen 
d'aller coucher avec Madame, et qui, lors- 
que Monsieur revient et veut se plaindre, 
lui dit assez plaisamment : 

Hé , il n'est pas bon d'être ensemble 
Naudet et Monsieur, ce me semble. 
Ce vous seroit grant deshonneur 
Qu'on fit ung Naudet de Monsieur. 
Quand de Naudet tiendrez le lieu , 
Naudet seroit Monsieur, par dieu. 
Gardez donc vostre seigneurie 
Et Naudet sa naudeterie 
Se tenez Lison ma femelle, 
Naudet tiendra madamoy selle. 



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A SIX PERSONNAGES, ETC. 03 



Ne venez plus naudetiser, 
Je n'iray plus seignéuriser. 
Croyez-raoy qu'il faut , mon amy, 
A trompeur trompeur et demy, 

C'est également la conclusion de notre 
Farce, qui , par cette morale , rachetait ce 
que ses détails pouvaient offrir de trop vif 
à la scène. 



!5R 



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FARCE NOUVELLE 

A SIX PERSONNAGES 

C'est à sçavoir deux Gentilshommes , le Monnier, 

la Monnière, 

et les deux Femmes des deux Gentilshommes 
habillées en damoyselles, 

et est la FARCE DU POULIER 



le premier GENTILHOMME commence. 
Honneur, cousin 1 

LE DEUXIESME GENTILHOMME 

Honneur aussy ! 

LE PREMIER 

De vous voir joyeux suis icy, 
Puisque santé en vous raisiné. 



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1 FARCE NOUVELLE 

LE DEUXIESME 

Je suis sain et dru, Dieu mercy, 
Et n'ay sur moy ne ça ne cy 
De desplaisir à ma saisine. 

LE PREMIER 

Qui desplait d'aultruy, machine, 
C'est bien de droit qu'il soit bany. 

LE DEUXIESME 

L'homme qui le mal imagine , 
40 Et en son cœur a la racine , 
Doibt estre des aultres pugny. 

LE PREMIER 

Vous estes tousjours bien garny 
De cela que vous debvez dire. 

LE DEUXIESME 

Garny comme vous. 

LE PREMIER 

Mais, beau sire 
Est-il bien à nostre mouniere ? 

LE DEUXIESME 

Qu'en sais je , moy ! 



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A SIX PERSONNAGES 



97 



LE PREMIER 

Par quel' manière 
Le pourray-je doncques sçavoir ? 
Veu qu'en faictes vostre debvoir, 
Car bien souvent vous y hantez 
20 Entour elle et y fréquentez , 
Le soir, la nuit et le matin. 
On congnoist bien vostre latin , 
Et le gibier de vostre chasse. 
Mais n'avons point de peur qu'on sache 
Toutes vos allées et venues. 
Un delict fait dessoubz les nues, 
Est sceu entendre le debvez. 

LE DEUXIESME 

Vrayment! cousin, vous ne sçavez 
Comment vous vous ramentevoir. 
30 Un chascun vous y a peu voir, 
On me l'a donné à entendre , 
Et puis vous me venez reprendre , 
Moy qui ne suis en rien coupable. 
Vous estes en parler muable 
Et bien digne d'être repris. 
Gardez que ne soyez surpris , 
La vérité seroit congneue. 

T. II 9 



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FARCE NOUVELLE 



LE PREMIER 

Autant d'escus que toute nue, 
Vous l'avez tenue à vostre aise. 

LE DEUXIESME 

Autant d'escus qu'à la renverse 
Vous l'avez sus son lict jectée ! 
Dea ! vostre personne jectée 
Y sera , donnez vous en garde. 

LE PREMIER * 

Qui aura bon droit, si le garde, 
N'en faisons ne noyse ne bruit. 
On congnoit à l'arbre le fruit, 
Et le bon vin à la liqueur. 
Adieu je vous dis de bon cœur. 
Un jour ferons chère plainiere. 

la monniere entre en chantant. 

« Oh va la mouniere , 

a Oh va , oh va la mouniere. » 

LE MOUNIER 

Tousjours tu trouveras manière 
De chanter sans prendre soulcy. 
Ma foy 1 si je faisoys ainsy, 



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A SIX PERSONNAGES 



99 



Tout yroit sens devant derrière. 
J'ay soulcy de faire et deffaire , 
J'ay soulcy d'aller et venir, 
Je ne me sauroys soutenir, 
Que mauldit soit la trumelierc. 
60 Tousjours tu trouveras manière 
De chanter sans prendre soulcy. 
M'ayt dieux ! si je faisois ainsy, 
Tout yroit sens devant derrière. 

LA MONNIERE 

Dieu ! qu'avez vous ? 

LE MONNIER 

Nostre matière 
Se perdra, j'en ay grosse peur, 
Car j'ay affaire à un trompeur, 
Un soubz d'estre, un trompereau. 
Plusit à Dieu que le bourreau 
L'eust pendu à mon appétit. 
70 II n'y a ne grand ne petit 
Qui ne le congnoiase à la court. 
Quant il arrive là on accourt 
Vers luy, procureurs, advocas, 
Et sergens et esperlucas. 
Et prend argent à toutes mains. 



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100 



FARCE NOUVELLE 



LA MONNIERE 

Il faut que l'un de ces demains 
Que vous et moy nous y allons , 
Et que fermement nous parlons 
Aux juges et à l'assistance , 
80 Et si vostre partye me tence, 
Je luy saray bien que repondre ; 
Je le feray par de moy fondre 
Dans la terre , fut il regent. 

LE MONNIER 

On ne plaide point sans argent. 
Le deable emporte le procès ! 
Il me fera mettre en décès 
Vingt ans devant mon âge deue. 

LA MONNIERE 

Il n'est pas dit que Ton se tue. 
Vous voulez vous pendre ou défaire. 
90 Nostre Dame ! laissez moy faire, 
J'aray de l'argent promptement 

LE MONNIER 

De l'argent ! 

LA MONNIERE 

Voyre! finement. 
Il n'est finesse qu'on ne fasse. 



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A SIX PERSONNAGES 



101 



LE MONNIER 

Hé ! belle dame , que je sache 
Gomme argent pourriez attraper. 
Je serois tant aise de veoir 
De l'argent, pour à mon cas pourveoir, 
Des escus, vingt, trente ou quarante. 

LA MONNIERE 

Nous en aurons plus de cinquante , 
100 Aussy rouges que séraphins» 

Mais il fauldroit que fussions fins , 
Et que ne disions mot de rien. 

LE MONNIER 

Par la mort ! je feray bien 
Argent , pour le fin attraper. 
En yois tu aulcuns à piper, 
A ton entente ou jobelin? 

LA MONNIERE 

Les maistres de nostre moulin 
* Sont fort amoureux de mon corps. 
Si vous faignyés aller dehors , 
110 Environ vingt jours ou un mois , 
Nous aurions des escus de pois , 
En leur faisant la ruse acroyre. 
il 9 



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102 



FARCE NOUVELLE 



Et puis revenez sur vostre erre , 
Quant de l'argent serez muny. 
Jamais un regnard pris au ny 
Ne fust si peneux qu'ils seront. 
Possible qu'ils nous donneront 
De nostre moulin les louages , 
Aveques tous les arrierages 
120 Que leur debvons du temps passé. 

LE MONNIER 

Par la mort bieu ! c'est bien pensé. 
Que dois je faire pour complaire ? 

LA MONNIERE 

Dormez vous et me laissez faire ; 
Je suis de langage pourveue. 

LE PREMIER GENTILHOMME 

N'auray je point une venue 
De la femme de mon monnier ? 
De moy n'eust pas eu un denier, 
Se n'eust esté de par sa femme , 
Car son cœur le mien tant enflamme , 
130 Que j'en suis presqu'au mourir. 
Voicy l'heure que secourir 
Elle m'a dit qu'elle me pourra bien. 
Je m'y en voye , sans craindre rien. 



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A SIX PERSONNAGES 



103 



De tant attendre je ne puys. 
A peu près de renyer suis 
La loy nouvelle et l'ancienne. 
Sang bieu ! si tenir la puis mienne , 
A mon désir et mon entente , 
Je la baiseray des foys trente , 
140 En faisant l'amoureux delict. 
0 que la tenir sus un lict , 
Pour la ribaulder quinze jours ! 
Vers elle m'en voye tout le cours , 
Afin que mon enuy soit hors. 
Hau ! monnyer. 

LE MONNYER 

Dictes que je dois 
Hardiment ! il ne s'en fault guère. 

LA MONNYERE 

Honneur ! monsieur. 

LE PREMIER GENTILHOMME 

Dieu gard monniere ! 
Auray-je de l'argent de vous ? 

LE MONNIER 

L'argent est bien court en droit nous. 
150 Qui cherche argent cherche débat. 



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104 



FARCE NOUVELLE 



LA MONNYERE 

Comment avez vous pris l'esbat 
De venir à ceste heure icy ? 

LE PREMIER GENTILHOMME 

Ouy, car je suis à demy transy, 
Si de vous ne suis secouru. 
A peu que n'en aye encouru 
La mort par le dieu de nature. 

LA MONNIERE 

Ce me seroit une laidure 
Et une honte diffamable, 
Que d'estre trouvée variable 
160 Au deshonneur de mon mary. 

LE PREMIER GENTILHOMME 

Vous me faictes le cœur marry 
Et me rendez du tout confus. 
Sy vous faictes de moy refus , 
Dictes le moy, je m'en iray. 
Mais par la mortl je vous feray 
Du desplaisir et de l'ennuy. 

LA MONNIERE 

Ce ne sauroit estre aujourd'huy. 



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A SIX PERSONNAGES 



105 



Si vous ne parlez à Lucas 
Et le conseillez de son cas, 
170 Honnestement en lieu secret, 
On nous veult passer par décret 
Nostre héritage à nous subjet. 
Pour venir à la fin du jeu , 
Prester nous fault argent à force , 
Et puis après que l'on s'esforce 
Faire de moy ce qu'on pourra. 

LE PREMIER GENTILHOMME 

Ah ! pensez qu'il ne demourera 
Pas envers moy pour cent ducas. 
Deboult, monnier? 

LA MONNIERE 

Deboult , Lucas ! 
180 Dormirez vous toute la journée ? 

LE PREMIER GENTILHOMME 

Or ça ! monnier, une fournée 
D'argent ! je vous feray quictance. 

LE MONNIER 

Tousjours survient quelqu'un qui tence 
Et se monstre mon ennemy. 



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106 



FARCE NOUVELLE 



LA MONNIERE 

Il est encore tout endormy 
Et a fait un terrible somme. 
Vostre monsieur le gentilhomme 
Qui vient avec nous deviser, 
Et s'est bien voulu amuser, 
190 Dont je mercye son personnage. 
Nous parlions de nostre héritage , 
Qu'on dit qui nous sera tollie. 
Et il dit que vous ferez folye , 
Si vous n'y estes vertueux , 
Car pour un cent d'escus ou deux 
Vous jouirez paisiblement. 

LE MONNIER 

Cent escus, c'est bien largement , 
Il suffiroit de quatre-vins , 
Pour payer saulces , lettres, vins , 
200 Arrierages, mises et debtes. 

Par ma foy î de toutes receptes , 
Je ne sache qu'un gros qui court ! 

LE PREMIER GENTILHOMME 

Dea î monnier, pour le faire court , 
Pour un cent d'escus d'or de pois , 
Je vous les preste. 



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A SIX PERSONNAGES 



107 



LE MONNIER 

Je vous en doibs. 

LE PREMIER GENTILHOMME 

C'est tout un. Vous payerez tousjours , 
Mais ne faictes pas longs séjours. 
Partez moy plus tost que plus tard. 
Je les avoys boutés à part , 
210 Pour cuyder un payement parfaire. 
Allez ! pensez à vostre affaire , 
Et pensez tost de revenir. 

LE MONNIER 

Cent escus ! c'est pour subvenir 
De tout mon affaire à honneur. 

LE PREMIER GENTILHOMME 

Adieu , monnier. 

LE MONNIER 

Adieu , monsieur. 

LE PREMIER GENTILHOMME 

Adieu , monniere. 

LA MONNIERE . 

Monsieur, adieu. 



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108 



FARCE NOUVELLE 



LE PREMIER GENTILHOMME 

Dictes de revenir au lieu } 
Que je sois de l'heure averty. 

la. monniere 

Mais que le monnier soit party, 
220 A. cinq heures. 

LE PREMIER GENTILHOMME 

Voilà le cas. 
J'apporteray pour le repas 
Un gros chapon avec une oye. 

LA MONNIERE 

Et du vin. 

LE PREMIER GENTILHOMME 

Pour faire la joye. 
Puis nos plaisirs seront vaincus. 

LE MONNIER 

Ça l de par dieu , j'ay cent escus , 
Cent escus d'or ! mort bieu ! je t'ayme ; 
Tu es de finesse la crayme , 
Et subtile par dessus tous. 

. LA MONNIERE 

Ce n'est encor rien , taisez vous , 



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A SIX PERSONNAGES 



109 



230 Dormez vous , faictes bonne myne , 
Je suis pour messieurs assez fine. 
Mot î voyez l'aultre qui revient , 
Vous erez de moy le maintient. 
Mais ne sonnez mot quoy qu'il soit. 

LE DEUXIESME GENTILHOMME 

L'amour d'une femme déçoit 
Le cœur de l'homme assez souvent. 
Si fault il plus tost que le vent 
Que je treuve façon d'aller 
A la muniere ou au munier, 
240 Qui tient mon cœur à sa saisine. 
Ce n'est force que je domine 
D'elle ou mourir me convient , 
Car cent mille foys me souviens 
De sa convenance courtoyse. 
Hau ! monnier. 

LA MONNIERE 

Faictes basse noyse , 
Monsieur, vostre monnyer repose. 

LE DEUXIESME GENTILHOMME 

Ah i mon tetin 1 m'amour ! ma rose ! 
Te tinsay-je à ma volonté. 
Tant j'ay le cœur entalenté 

T. II. 10 



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FARCE NOUVELLE 

D'accomplir ce que je veuil dire. 
Où est le monnyer ? 

LA MONNIERE 

Il dort , sire ; 
Il est un peu mal disposé. 

LE DEUXIESME GENTILHOMME 

Qu'est-ce qu'il a ? 

LA MONNIERE 

Il n'a osé 
Le temps passé rien emprunter, 
Et s'est bien laissé endetter 
Nostre héritage de village, 
De cent francs tout en arrierage , 
Et est de le conter honteux. 
Si nous trouvions de bons prêteurs , 
Ou gens baillans argent à rente , 
Ma foy 1 tout à l'heure présente, 
Nostre héritage iroit recouvrer. 
Vous le voyriez par dieu troter 
Comme un savatier portant cuir. 

LE DEUXIESME GENTILHOMME 

S'il vous plaist me laisser joyr 
De vostre corps , un jour sans plus , 



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A SIX PERSONNAGES 



111 



Je presteray six vins filipus , 
Avecques cent sols de monnoye. 

LA MONNIERE 

Helas ! monsieur, je n'oseroye ; 
270 Comment ! vous estes marié ! 

LE DEUXIESMB GENTILHOMME 

L'amour de vous m'a charyé , 
Et fait en cestuy lieu venir. 
S'il vous plaist me laisser joyr, 
A mon grand désir et entente , 
Vous aurez à l'heure présente 
Six vins filipus d'or et de pois , 
Avecques un cent soûls tournois, 
De monnoye que vous aurez. 

LA MONNYERE 

Au moins, monsieur, considérez 
280 De garder l'honneur qui s'ensuit. 

LE DEUXIESME GENTILHOMME 

Mot! je n'y viendray que de nuit. 
Et si ferons chère papale. 

LA MONNIERE 

Je l'accepte. 



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112 



FARCE NOUVELLE 



LE DEUXIESME GENTILHOMME 

Ça! que je parle 
Au monnier pour bailler argent. 

LA MONNIERE 

Pas ne sera si négligent, 
S'il ne pense de son profit , 
(Haul hau! monnier), il est confit, 
Geste journée cy à dormir. 

LE MONNIER 

Tu me fais tout le sang frémir, 
290 Comme ceste cy me tempeste ! 

LA MONNIERE 

Vous ne pouvez lever la teste. 
Tant dormir ce n'est pas santé; 
Voicy monsieur, qui s'est vanté , 
Et dit , pour nous faire plaisir, 
De nous prester, d'un bon désir, 
Six vins flipus avec cent sous , 
Afin que nous soyons resous 
De l'héritage à nostre lye. 

LE MONNIER 

Saint Jehan ! Dieu luy doint bonne vye 
300 Et le tienne en prospérité. 



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A SIX PERSONNAGES 



113 



LE DEUXIESME GENTILHOMME 

Voye les là tout compté. 
Pensez tost de vostre profict ; 
Estimez que mon cœur ne ûst , 
Comme povez apercevoir, 
Que jamais de meilleur vouloir 
Ne prestay argent à ma vye 
Qu'à vous deux , je vous certifye. 
Quant partez vous , que je le sache ? 

LA MONNIERE 

Monsieur, je le tiendrons pour lâche 
310 S'il ne partoit expressément. 

LE MONNIER 

Je partiray présentement , 
Devant qu'il soit heure et demye. 

LE DEUXIESME GENTILHOMME 

Dictes de revenir, ma mye , 
Quant pourray-je de soir vonir? 

LA MONNIERE 

Je pourray à vous subvenir 

Entre six et sept , c'est bonne heure. 

ii. 10 



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FARCE NOUVELLE 



LE DBUXIESME GENTILHOMME 

Je n'ay pas peur que je ne meure 
D'attendre si tard. Or, adieu. 
Préparez la place et le lieu. 
De revenir j'auray le soin. 

LE MONNIER 

Ça , ça, j'ay de l'or à plein poing : 
Femmes sont fines à merveilles % 
Quant l'homme fait grandes oreilles, 
Il ne luy en peult que bien prendre. 
A mon fait il me fault entendre. 
Tout primo il me fault aller, 
Et les laisser un peu parler 
Ensemble et eux deviser. 
Secundo il me fault adviser 
Que de droit le guet je feray, 
Le celuy que j'attraperay 
Avec ma femme nu à nu, 
Premier qu'il soit de moy connu , 
Je luy monstreray mon effort. 

LA MONNIERE 

J'aymeroys mieux estre à la mort , 
Que fissent de mon corps offense. 
Mais ayez en vous la science 



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A SIX PERSONNAGES 



115 



De subvenir bref après eulx. 
Ce que je fais c'est pour le mieulx, 
340 Ainsy vous le debvez entendre. 

LE MONNIER 

Laisse moy le fait entreprendre , 
Tout viendra bien , j'y ay pensé. 

LE PREMIER GENTILHOMME 

Seray-je point recompensé 
Des cent escus de mon monnier ? 
De moy n'eust pas eu un denier, 
Se n'eust esté de par sa femme. 
Car son cœur le mien tant enflamme, 
Que j'en suis presque au mourir. 
Voicy l'heure que secourir 
350 Elle m'a dit qu'elle pourra bien , 
Je m'y en voye sans craindre rien. 
De tant endurer je ne puis. 
Hola ! hau ! 

LA MONNIERE 

Qui est-ce à l'huys? 

LE PREMIER GENTILHOMME 

Vous ay-je failly de promesse ? 



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FARCE NOUVELLE 

Et tant de tels galans on sait 

Qui n'en tiennent compte ne taille. 

LE DEUXIESME GENTILHOMME 

Voycy Theure qu'il fault que j'aille 
Voir celle là qui m'a promis 
Que seray l'un de ses amis. 
C'est bien de droit que j'y compare. 
Je pense moy qu'elle prépare 
Son logis pour me recepvoir. 
Mon sang ne se fait qu'esmouvoir, 
De despit que desjà n'y suis. 
Ouvrez, ouvrez! 

LA MONNYERE 

Qui est-ce à Thuys ? 

LE PREMIER GENTILHOMME 

Sang bieu ! j'ay entendu quelqu'un ; 
Encor j'ay laissé mon verdun 
Et ma dague pour me défendre. 

LE DEUXIESME GENTILHOMME 

Holà! holà! 

LA. MONNIERE 

11 faut entendre. 



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A SIX PERSONNAGES 



nu 



LE PREMIER GENTILHOMME 

Mon Dieu ! que j'ay le cœur marry ! 
Jo croy que c'est votre mary. 
Jésus ! il m'ira publier. 

LA MONNIERE 

Cachez vous dedans ce poulier 
400 Jusqu'à ce qu'il soit retourné. 

LE DEUXIESME GENTILHOMME 

Je n'ay pas longtemps séjourné 
Après l'heure délimitée; 
Que ceste bouteille boutée 
Me soit en un lieu proprement. 
Voylà pour faire gentiment 
Le banquet pour l'amour de vous. 

LA MONNIERE 

Semblablement voycy pour nous , 
Banquet que j'ay tost appresté. 
Est-il rien de novalité , 
410 Monsieur de la Hannetonniero ? 

LE MONNIER 

Monsieur de la Papillonniere 

Est prochain voysin de nos poules. 



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120 



FARCE NOUVELLE 



Hé ! pensez qu'il n'a pas les couilles 
En aussy bon point comme il avoit. 

LE PREMIER GENTILHOMME 

Hé ! qui tous les deables sçavoit 
Que monsieur de la Hannetonniere 
Vint visiter nostre monniere 
Comme môy ! Ah î je suis surpris ; 
Une aultre foys seray appris 
420 De faire mon cas plus asseur. 

LE DEUXIESME 

Sa vous que vous ferez, ma seur? 
Je bois à vous à verre plain. 

LE PREMIER 

Par le saint sang bieu ! le vilain 
Boit mon vin et mange mon pain ; 
Encor n'en oseray parler. 
Si je me mets à dévaler, 
Le jeu ne te sera pas beau. 

LE DEUXIESME 

Allons derrière le rideau 
Accomplir le jeu d'amourettes. 

LA MONNIERE 

430 Non , pas encor. 



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A SIX PERSONNAGES 



121 



LE MONNIER 

Hé ! je vous guetes. 
Monsieur le Hannetonneur. 
Vous ne venez pas par honneur 
A ma maison , c'est chose seure . 

LE DEUXIESME 

Me secourez vous à ceste heure ? 
Seray je de ma douleur hors ? 

LA MONNIERE 

Après souper, prenez le corps , 

Faictes en à vostre plaisir : 

Mais devisons tout à loisir. 

Mon cœur s'embrase en vous voyant. 

LE MONNIER 

440 Ah ! je n'en puis endurer tant ! 
J'en pers sens , mémoire et la voix. 
Par la mort hieu ! je m'y en voye. 
En ce lieu je ne puis plus vivre ; 
Il faut contrefaire de l'ivre. 
Sang bieu ! ils seront esgorgés. 
Ouvrez ! ouvrez ! 

LA MONNIERE 

Ne vous bougez ; 
Qui vous fait ainsy tournyer ? 

T. II 11 



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122 FARCE NOUVELLE 

LE DEUXIESME GENTILHOMME 

J'ay entendu nostro monnier. 
Jesus-Christ ! je suis diffamé. 

LA MONN1ERE 

450 Ah ! Jésus ! 

LE DEUXIESME GENTILHOMME 

Je l'ay reclamé. 
Qu'il me préserve en ceste place. 

LA MONNIERE 

Lancez vous tost en ceste place. 
Ilault , au poulier à nos guelines , 
Car gos pensées sont si fines , 
Qu'il vous turoit, c'est chose seure. 

LE PREMIER GENTILHOMME 

Vous y voylà prins à ceste heure , 
A ce poulier ainsy que moy. 

LE MONNIER 

Je sçay bien moy que je mettray 
L'huys hors des gons si tu ne m'ouvre. 

LA MONNIERE* 

460 Mon Dieu l voycy une belle œuvre : 
Jamais je ne vis vOstre per. 



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A SIX PERSONNAGES 



1Î3 



LE MONNIER 

Par la mort bieu ! je veux pomper. 

LE DEUXIESME GENTILHOMME 

A Dieu ! comment nostre souper 
Il sera tantost dévoré. 

LE MONNIER 

Or ça , mon petit con doré» 
Qu'as tu accoustré à repaistre ? 

LA MONNIERE 

Tenez vous vous debvez congnoistre 
Qu'en avons assez et de bon : 
Voilà du bouilly, du jambon , 
470 Pain , vin , perdriaux et mauvis. 

LE PREMIER GENTILHOMME 

C'est fait ! nous voylà desservis, 
A tous les deables le sou lard. 

LE MONNIER 

Que ce vin icy est gaillard ! 
Et un souper prins d'un beau zèle. 
Va moy quérir mademoiselle , 
Dame de la Papillonniere. 



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FARCE NOUVELLE 

Qu'el vienne avec moy faire chère , 
Et qu'el ne se soucie de rien. 

LA MONNIERE 

Je m'y envoyé. 

LE MONNIER 

Mais sçays tu bien ? 
Ne me cesse pas de courir. 

LE PREMIER GENTILHOMME 

Ce vilain me fera mourir : 
C'est ma femme qu'il envoyé querre 
Si jamais il est bruit de guerre , 
Je le feray bien régenter. 

LE DEUXIESME» GENTILHOMME 

S'il nous ot cy parlementer, 
Il abaissera nostre ton. 

le monnier, en chantant 

Hau ! biboton , biboton , biboton , 
Encore, encore, encore, encore! 
Hau ! biboton , biboton , biboton ! 
Encore , encore un horion ! 

LE PREMIER GENTILHOMME 

Mais pense-t-il que on en rions ? 



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A SIX PERSONNAGES 



125 



Il a beau chanter, si je danse, 
Je n'ay point de resjouissance. 
Que mauldit de Dieu soit ton ventre ! 

LA MONNIERE 

Il ne vous desplait pas si j'entre , 
Et que je fasse à l'arrivée , 
Mademoiselle, la privée. 
Lucas à vous se recommande , 
Et vous prye d'une amour grande , 
500 Que vous envenez quant à moy. 

LA PREMIERE DAMOI SELLE 

Et où, monniere? 

LA MONNIERE 

Avecques moy, 
Plaisanter et mener léesse. 

LA DAMOISELLE 

Je n'oseroys. 

LA MONNIERE 

Hé 1 pourquoy est-ce? 
Ah ! il n'y a point de danger, 
Il vous fera bien estranger 
Mélancolye si vous l'avez, 
ii. 11 



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126 



FARCE NOUVELLE 



LA DAMOISBLLE 

Allons doncques , mais vous sçavez 
Que longtemps je ne puis pas mettre : 
Si monsieur mon mary, mon maistre , 
510 Survenoit, je seroye tencée. 

LA MONNIERE 

Je ne suis pas si incensée 
De vous laisser faire séjour. 

LA DAMOISELLE 

Bonsoir, monnier. 

LE MONNIER 

Bonjour, bonjour, 
Bien venue , ma damoiselle. 

LA MONNIERE 

Séez vous sur ceste selle , 
Afin que soyez à vostre aise. 

LA DAMOISELLE 

Grand mercy. 

LA MONNIERE 

Ne vous desplaise. 



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A SIX PERSONNAGES 



127 



LA DAMOISELLE 

Laissez , monnier. 

LE PREMIER GENTILHOMME 

Quoy ! il la baise ! 
Meschant ! qu'est-ce que tu feras ? 

LE DEUXIESME GENTILHOMME 

Par la mort bieu ! tu te tairas ! 
Et dussions nous icy mourir. 

LE MONNIER 

Vien ça ! va moy encor quérir 
Madame la Hannetonniere : 
Qu'el vienne avec moy faire chère , 
Que je la traicte à mon vouloir. 

LA PREMIERE DAMOISELLE 

Hé! vous faictes plus que debvoir, 
C'est trop de coust pour ceste foys. 

LE MONNIER 

Ma damoyselle, à vous je boys. 

LA PREMIERE DAMOYSELLE 

Ah ! monnier, la vostre mercy. 



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128 



FARCE NOUVELLE 



LE PREMIER GENTILHOMME 

530 De glaive ayes tu le cœur transy, 
Tant tu nous fais cy chagriner 

LE MONNIER 

Sa vous que viens d'adeviser, 
Ma damoiselle, à ceste foys? 

LA PREMIERE DAMOISELLE 

Hé ! quoy ? monnier. 

LE MONNIER 

Par sainte Croix ! 
Je vous vouldroys bien demander, 
Si je vous vouloys embrasser, 
Si vous me lesseriez point faire ? 

LA PREMIERE DAMOISELLE 

Déportez vous de ceste affaire , 
Car on n'oserions en ce lieu. 

LE MONNIER 

540 Hé ! pourquoy ? 

LA PREMIERE DAMOYSELLE 

C'est offenser Dieu. 



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A SIX PERSONNAGES 



129 



LE MONNIER 

Offenser Dieu ! ah ! ce n'est rien : 
D'aultres que nous l'offensent bien. 
Laissez moy gouster de l'amorse. 

LE PREMIER GENTILHOMME 

Elle fera ta maie bose ! 

Traistre , meschant meseau rendu. 

LE DEUXIESME 

Tant de foys je t'ay défendu , 

Morbieu ! que tu ne dye un mot, 

Si cest yvrongne icy nous ot, 

Qui est maintenant à son aise > 

Il nous pourroit bien , par saint Biaise, 

Faire mourir de mort infâme, 

LE PREMIER GENTILHOMME 

Quoy ! il le veult faire à ma femme ! 

LE DEUXIESME 

Hé bien ! combien as-tu perdu ? 

LE PREMIER 

J'aymeroys mieux qu'il fust pendu. 
J'avoue Dieu et Marye la belle. 



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FARCE NOUVELLE 



LE MONNIER 

Le ferons nous, ma damoyselle, 
A celle fin que soys guery ? 

LA PREMIERE DAMOISELLE 

N'en parlez pas à mon mary. 

LE MONNIER 

J'aymeroys mieux estre damné. 
Allons faire le démené , 
Que je embate vostre escu. 

LE PREMIER GENTILHOMME 

Ah ! c'est fait ! me voylà coquu. 
Quel douleur pour pauvres marys ! 

LE DEUXIESME 

Pour un , il en fait deux maris. 

LE PREMIER 

Se fait mon ! que tuer le voue. 

LA MONNIERE 

Je m'estoye boultée à la voue 
De vous venir voir, damoiselle. 
Mon mary a la pensée telle , 
Qu'il vous veult à soupper donner. 



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1 

j 

A SIX PERSONNAGES 131 

j 

LA DEUXIESME DAMOISELLE 

570 Je ne le sauroys guerdonner 
Du grand service qu'il me fait. 

LA MONNIERE 

Voylà qu'il m'a dit , en effet, 
Que vous en venez quant et moy. 

LA DEUXIESME DAMOISELLE 

Vrayment très volontiers j'yroy. 
Mais il sera recompensé. 

LE PREMIER GENTILHOMME 

Qui tous les deables eust pensé 
Que ma femme eust fait cest accord, 
Qu'à ce meschant vilain et ort, 
Eust abandonné son maujoint. 
580 Le vilain ! je l'os là où il geint, 
Le pourceau ! il me fait genin. 

LE MONNIER 

Vous ay-je blessée ? 

LA PREMIERE DAMOISELLE 

Nenin , nenin. 

LE PREMIER GENTILHOMME 

Tu blesseras ta maie rage ! 



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FARCE NOUVELLE 



LE DEUXIESME GENTILHOMME 

Savoure un petit abreuvage 
Et prens patience en ton cœur. 

LA PREMIERE DAMOISELLE 

Au moins gardez moy mon honneur ; 
Mon amy, je me fye à vous. 

LA DEUXIESME DAMOISELLE 

Bon soir, monnier. 

LE MONNIER 

Sy fais à vous. 
Vous soyez la très bien venue. 
Ça ! ça ! il fault faire reveue , 
Sus à nostre vin ! Je boys à vous. 

LA MONNIERE 

Ma damoiselle , qu'avez vous ? 
Vous me semblez en desplaisance. 

LA PREMIERE DAMOISELLE 

Las ! il m'est prins une faillance , 
En ce lieu , je me sens mal sayne. 

LE MONNIER 

Il vault mieux que tu la remaine. 



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A SIX PERSONNAGES 



433 



LA MONNIERE 

Je le veux bien. 

LA PREMIERE DAMOISELLE 

Allons , monniere. 

LE MONNIER 

Ça ! madame la Hannetonniere , 
J'ay de vous veoir resjouissance. 

LA DEUXIESME DAMOISELLE 

600 Je suis venue en bonne chanse : 
Voycy pain , vin, viandes assez. 

LE MONNIER 

Il y a quatre moys passés, 
Que j'ay de vous traiter envye. 

L A^ DAMOISELLE 

Je vous remercye. 

LE MONNIER 

Fuseez vous mye, 
Cinq jours dedans nostre moulin , 
Vos tetins aussy blancs que lin , 
Furent garsonnés sur le blé. 

T. II. 12 



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134 



FARCE NOUVELLE 



LA DAMOISELLE 

Mon corps fut par vous accolé , 
Mais je ne vous laissay pas faire. 

LE MONNIER 

610 Sang bieu ! il ne s'en fallut guère, 
Que je ne mise au perthuis, 
Sans une de derrière Thuys, 
J'allois mesler mes deux genoux. 

LE DEUXIESME GENTILHOMME 

Sang bieu ! il se moque de nous : 
Il livre babil à la mienne ! 

LE PREMIER GENTILHOMME 

Hé ! penses tu donc qu'il se tienne , 
Qu'il ne luy fasse comme à l'aultre ? 
Que mon corps soit bouilly en peaultre 
S'il luy fault ! Ah ! je le voy bien. 

LE MONNIER 

620 Ma damoiselle , n'espargnez rien ; 
Buvez , mangez de cœur joyeux. 

LA DEUXIESME DAMOISELLE 

Ces monniers sont tant amoureux , 
Il n'est finesse qui n'en sorte. 



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À SIX PERSONNAGES 



135 



LE DEUX1ESME GENTILHOMME 

Hé 1 tais-toy, tais-toy, povre sotte ! 
Tiens-tu babil à ce badault ? 

LE MONNIER 

Si j'avoys veu vostre bidault , 
Je seroys guery ce me semble. 
Mais pour veoir un peu s'il ressemble 
A celuy de ma ménagère. 

LE PREMIER GENTILHOMME 

630 Mais regardez comme il s'ingère 
A parler qui le veult ouir, 
Pour mieulx de la femme jouir. 

LE DEUXIESME GENTILHOMME 

C'est un meschant pour tout potage ; 
J'ay tel despit et telle rage , 
Que je ne sais à qui le dire. 

LE MONNIER 

Dame , vous plaist-il m'esconduire ? 
Seray-je remis en vigueur? 

LE PREMIER GENTILHOMME 

Mais ta maie cpide langueur ! 
Tu Tas bien fait à nos despens 



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FARCE NOUVELLE 



LE MONNIER 

Me tiendrez vous ainsy suspens 
En misère et calamité ? 

LA DEUXIESME DAMOISELLE 

Hé î voyre ! mais si récité 
Estoit à mon mary où qui soit, 
Et qu'un jour il s'en aperçoit , 
Tousjours me le reprochera. 

LE MONNIER 

Le deable emport qui luy dira. 

LA DEUXIESME DAMOISELLE 

Allons donc ! je m'y accorde. 

LE DEUXIESME GENTILHOMME 

Nostre Dame ! miséricorde ! 

11 tient ma femme , ce meschant ! 

LE PREMIER 

Par dieu ! vous quitterez ce chant, 
Ou j'estrangleray vostre gorge. 
Il l'a fait une heure d'orloge 
A la mienne et tu m'as fait taire. 



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A SIX PERSONNAGES 



137 



LE DEUXIBSME 

Hé ! il la tient. 

LE PREMIER 

Qu'y veux-tu faire ? 
Tu sçays qu'il a le deable au corps. 

LE DEUXIESME 

Ah ! mes amis ! misericors , 
Il souffle et pete tout d'un trait. 
Hé ! fault il que je sois contraint 
De l'ouyr ainsy remuer. 

LE PREMIER 

660 Vous nous voulez faire tuer 

A ceste heure , vous vous tairez. 

LE DEUXIESME 

Par la mort bieu ! vous mentirez. 

LE PREMIER 

Si ferez vous par la vertu. 

Hé ! comment ! je me suis bien tu. 

LE DEUXIESME 

Au meurdre ! 



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FARCE NOUVELLE 



LE PREMIER 

A l'aide ! 

LE DEUXIËSME 

Que feray-je ? 

LE PREMIER 

Tu te tairas. 

LE DEUXIËSME 

Plus tost mourray-je. 
A l'ayde ! messieurs , je suis mort. 

LE PREMIER 

Pourquoy deable crye tu si fort ? 

LE DEUXIËSME 

Tu m'as affolé par les couilles. 

LE MONNIER 

Il y a quelqu'un à nos poulies. 

Par la mort bieu î je m'en voye voir. 

LA DEUXIËSME DAMOISELLE 

Adieu , monnier. 



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A SIX PERSONNAGES 



139 



LE MONNIER 

Jusqu'au revoir. 
Ma damoiselle , grands mercis. 
Quelque bon jour de sens rassis , 
Nous ferons chère plus meilleure. 

LA MONNIERE 

Vous en allez vous à ceste heure? 

LA DEUXIESME DAMOISELLE 

Ouy, je me voye mettre en la voye. 

LA MONNIERE 

Il vault mieux que je vous convoyé 

LA DAMOISELLE 

Je m'en yray toute seulette. 

LE MONNIER 

680 Ah I il y a quelque belette 
Ou beste avec ma poulaille. 
Viens t'en avec moy et me baille 
La palette de nostre feu. 

LA MONNIERE 

En avez vous eu quelque peu 
D'apercevance ? 



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140 



FARCE NOUVELLE 



LE MONNIER 

Ouy, comme il semble ; 
Car ils caquettent tous ensemble ; 
Le fait entendu et comprins. 

LE PREMIER GENTILHOMME 

C'est fait de nous : nous voylà prins. 
Miséricorde ! mes amis ! 

LE MONNIER 

690 Hé ! qui tous les deables a mis 
Ces galans là parmy les poulies ? 
Par la mort bieu ! si je ne bredouilles 
Vos testes à ceste heure icy. 

LE PREMIER GENTILHOMME 

Ha ! monsieur le monnier, mercy ; 
Prenez pitié de nos personnes. 

LA MONNIERE 

Hé 1 ce sont nos deux gentilshommes, 
Qui viennent céans pour gaber. 

LE MONNIER 

Ah ! ils me veulent desrober, 
Je soustiens la querelle à point. 



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A SIX PERSONNAGES 



141 



700 Puis que je les tiens sur ce point , 
Il vault mieux que je les esgorge. 

LA MONNIERE 

Et non ferez. 

LE MONNIER 

Vertu Saint George ! 
Ghascun d'eux si a trop vescu. 

LE PREMIER GENTILHOMME 

Vous avez cent et un escu 
De moy vrayment, je les vous donne, 
Et de bon cœur vous en guerdonne , 
Et que de moy ne parlez plus. 

LE DEUXIESME GENTILHOMME 

Et moy de mes six vins phibus 
De ma monnaye et testons , 
710 Tout d'un accord nous submettons 
Vous en quicter et descharger ; 
Et vous voulez vous le denger ! 
Tous deux vous demandons pardon. 

LE MONNIER 

Me les donnez vous à pur don ? 



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142 



FARCE NOUVELLE 



LE PREMIER GENTILHOMME 

Ouy, sans jamais rien demander. 

LE DEUXIESME 

Ce qu'il vous plaira commander, 
Nous le ferons à vostre gré. 

LE MONNIER 

Si direz vous bon gré mal gré , 
Combien que vous soyez fâchés , 
720 Pourquoy vous estes vous cachés 
Finement avec ma poulaille ? 

LE PREMIER GENTILHOMME 

Crainte de vous. 

LA MONNIERE 

Hé 1 ne vous chaille. 

LE MONNIER 

Taisez vous : je les veux ouir. 

LE DEUXIESME GENTILHOMME 

Chascun de nous pensoit jouir 
De vostre femme follement. 



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A SIX PERSONNAGES 



143 



LE PREMIER GENTILHOMME 

Vous avez eu bien finement 
La jouissance des deux nostres. 

LE MONNIER 

Par monsieur saint Thibault l'apostre , 
Contre vous deux auray débat. 

LE DEUXIESME GENTILHOMME 

730 Nous avons courroux pour esbat. 

LE PREMIER GENTILHOMME 

Pour joye avons melancolye 

LE MONNIER 

L'homme amoureux fait mainte folye. 

LE DEUXIESME GENTILHOMME 

Nous avons courroux pour esbat. 

LE MONNIER 

Vous voylà donc prins au rabat , 
Dont c'est à vous grosse folye. 

LE DEUXIESME 

Nous avons courroux pour esbat. 



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144 



FARCE NOUVELLE 



LE PREMIER 

Pour joye avons melancolye. 
Quant amour un homme fol lye , 
Il perd savoir et contenance. 

LE MONNIER 

740 Je prends congé de l'assistance , 
Si peu que mon savoir contient, 
Qu'à trompeur tromperye luy vient. 
Et pour resjouir nos esprits , 

744 Une chanson , je vous suplye. 



FIN 



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LE RETRAICT 

FARCE NOUVELLE ET FORT JOYEUSE 

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13 



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NOTICE 

SUR 

LA FARCE NOUVELLE ET FORT JOYEUSE 

DU RETRAICT 



Le sujet de cette Farce est assez analo- 
gue à celui des deux précédentes. Il est 
emprunté à nos anciens fabliaux. 

Une femme a donné rendez-vous à son 
amant. Elle est surprise par son mari en 
tête-à-tête avec lui , et ne trouve d'autre 
♦ressource que de le faire cacher dans le 
retrait. L'amant , voulant étouffer le bruit 
d'une toux importune , se prend maladroi- 
tement la tète dans Vais de bois (la lunette), 



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1 



148 LE RETRAICT 

au moment môme où le mari entre au re- 
trait , conduit par un besoin pressant. L'a- 
mant s'échappe en emportant à son cou la 
pièce importante du retrait et en poussant 
de grands cris, au profond étonnement du 
mari , auquel on fait croire que c'est un 
diable qui est venu pour le punir de sa 
jalousie. 

Le rôle comique de cette facétie est rem- 
pli par le valet Guillot , jeune drôle gour- 
mand , ivrogne et âpre au gain , qui pro- 
fite des circonstances pour prendre de 
toutes mains et exploiter tour à tour son 
maître et sa maltresse. 11 y a dans ce rôle 
les premiers éléments du valet fripon et 
voleur de la comédie du xvn # siècle. 



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FARCE NOUVELLE 

ET FORT JOYEUSE 
A QUATRE PERSONNAGES 

C'est à sçavoir 

Le Mary, la Femme, Guillot et I'Amoureux 
et c'est le RETRAICT 



la femme commence. 

Si le mien cœur est rempli d'ire , 
Las ! à bon droit je le puis dire , 
J'ay bien raison de me complaindre 
Et de mon mauvais me complaindre; 
Car mon mary me tient soubz las 
De grand rigueur dont n'ay soulas. 
En luy n'a point de passe temps , 
Dont bien souvent mauldis le temps, 
Le jour et l'heure de ma naissance. 
il 13 



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150 le RETRAICT 

10 Pensez vous que prenne plaisance 
En luy? non, non, je vous promais, 
Si le serviray-je d'un mais , 
Par dieu ! dont pas il ne se double, 
Car j'ay mis mon amitié toute 
En un beau fils 1 voilà, je l'ayme, 
Je mourray plus tost à la peine 
Que je ne fasse son désir. 
J'ay espoir avec lui gésir 
Si mon mary s'en va aux champs. 

ouillot, varlet , en chantant. 

20 Hau ! les gans, bergère, 
Hau ! les gans ! les gans ! 

LA FEMME 

Par dieu , voilà de très doux chants. 
Viens ça, Guiilot! 

GUILLOT 

Plaist-il, metresse? 

LA FEMME 

Tu mets mon cœur en grand détresse , 
Car tu n'es point.... 

GUILLOT 

Je ne suis point? 



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FARCE NOUVELLE 



151 



LA FEMME 

Je ne t'ose dire le point, 
Tant tu es léger du cerveau. 

GUILLOT 

Je ne suis pas bon maquereau , 
Est-ce pas ce que voulez dire ? 

LA FEMME 

30 Par mon ame ! il me fait rire ; 
Ce n'est pas cela, mal autru. 

guillot , en chantant. 

« Turelututu tutu tutu , 

« Turelututu, chapeau pointu. » 

LA FEMME 

Ne chante plus , escoute moy. 

guillot, en chantant. 
a C'est de la rousée de moy. » 

LA FEMME 

Viens ça ! Guillot, es-tu tigneux? 
Comment ! tu n'es point gratieux 
Que ne mets la main au bonnet. 



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152 



LE RETRAICT 



GUILLOT 

« Il fait bon aymer l'oyselet. » 
40 Parlez-vous du bonnet de nuit ? 
Quant je le frotte, il me cuit ; 
Il tient bien fort à mon tignon. 

LA FEMME 

Tant tu es un bon compaignon ; 

Si te pensoys sage et discret , 

Je te diroys tout mon secret; 

Mais par dieu ! tu n'es qu'un lourdault. 

GUILLOT 

D'un baston rouge comme un fer chault, 
Soyez battue toute nue. 
Lourdault ! 

LA FEMME 

Voyre ! sous la nue 
50 N'a point de plus lourdault que toy. 

GUILLOT 

Ah ! ah ! lourdault. 

LA FEMME 

Escoute moy. 



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FARCE NOUVELLE 



153 



Si parfaire veux mon désir, 
Je te feray tant de plaisir, 
Qu'en toy jamais n'aura default. 

GUILLOT 

Vous m'avez appelé lourdault; 
Mais par dieu ! le mot vous cuyra. 

LA FEMME 

Guillot, laissons ces propos là ; 
Plus ne t'en fault estre marry. 
Viens ça , tu sçays que mon mary 
Aujourd'huy est allé aux champs , 
Ouyr des oysillons les chants ; 
Pas ne doibt ce jour revenir, 
Et mon amy doibt cy venir. 
Pour coucher entre mes deux bras. 
Tu auras ce que tu vouldras, 
Si tu veulx guetter à la porte. 

GUILLOT 

Guetter 1 le deable donc m'emporte ! 
Je guetteray en bas , en hault , 
Et vous m'appellerez gros lourdault ! 
Taisez vous ! c'est tout un. 

LA FEMME 

Guillot, 



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154 



LE RETRAICT 



Se j'ay dit quelque mauvais mot, 
Pardonne moy, je te promets, 
Par la main qu'en la tienne mets, 
Ne t'appelleray jamais lourdault. 

GUILLOT 

Par dieu ! vous listes un lourd sault , 
Quant vous me dites telle injure. 
Lourdault ! 

LA FEMME 

Guillot, par Dieu j'en jure, 
Je le disois en me riant. 

GUILLOT 

Appelés moy plus tost friant 
80 Que lourdault. 

LA FEMME 

Je te prye au surplus , 
Laissons cela , n'en parlons plus ; 
Vray est que ce mot ay lasché. 

GUILLOT 

Saint n'y a qui n'en fust fasché 
De leur dire si vilain nom. 
Ne m'y appelez plus. 



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FARCE NOUVELLE 



155 



LA FEMME 

Non , non. 
J'aymerois plus cher estre morte. 
Guillot , va garder à la porte. 
Veux-tu, Guillot? 

GUILLOT 

Hé ! pourquoy faire ? 

LA FEMME 

Jésus ! n'entons tu point l'affaire , 
90 Tant tu es un franc beny ! 

GUILLOT 

Ah ! j'entens bien , c'est vostre amy 
Qui doibt venir. 

LA FEMME 

Ouy, tu soubzris. 

GUILLOT 

H vous ostera bien les souris 
Tantost du cul. 

LA FEMME 

Parle tout doulx. 



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LE RETRAICT 
GUILLOT 

Or ça ! que me donnerez vous ? 

LA FEMME 

Dy moy en un mot que veux-tu ? 

GUILLOT 

Donnez moy un bonnet pointu , 
Puys je garderay à la porte. 

LA FEMME 

Tiens ! en voilà un de la sorte. 
Es-tu content ? 

GUILLOT 

Par saint Jehan ! ouy 
Jésus ! que je seray joly ! 

LA FEMME 

Si ton maistre venoit d'avanture , 
Venant ne luy fais ouverture 
Sans nous advertir. 

GUILLOT 

Bien , bien , bien. 
Il n'y viendra ni chat ni chien. 



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FARCE NOUVELLE 



157 



l'amoureux entre. 

Fi d'avoir, qui n'a son plaisir ! 
Fi d'or, d'argent, fi de richesse. 
Hors de mon cœur tout desplaisir. 
Fi d'avoir, qui n'a son plaisir. 
110 Doux passe temps je veux choisir, 
Chassant de moy deuil et tristesse. 
Fi d'avoir, qui n'a son plaisir ! 
Fi d'or, d'argent, fi de richesse. 
Il fault aller voir ma metresse , 
Car c'est mon plaisir et soulas. 
C'est celle qui de moy est metresse. 
Fait évader. 

LA FEMME 

Viendra point là 
Celuy en qui je me conforte ! 
Guillot , voys-tu rien en la porte ; 
120 Ne voys tu nul icy venir ? 

GUILLOT 

Défendez vous , car assaillir 
On vous vient par cruel effort. 

l'amoureux 

Holàl holà! 

T. II. i4 



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LE RETRAICT 



QUILLOT 

Qui est là? vous buquez bien fort, 
Quoy, que demandez vous? 

l'amoureux 

La dame. 

OUILLOT 

Monsieur, soyez sûr, par mon ame, 
Que la dame n'est pas céans. 

l'amoureux 

Où est le maître ? 

OUILLOT 

Il est céans , 
Là où je prépare la cuisine , 
Avec une femme voisine. 

LA FEMME 

Ouvre, Guillot; hé! tu te mocque : 
C'est mon amy, monsieur Lacoque. 
Fais le entrer. 

OUILLOT 

Ouy, mais que je sache 



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FARGÉ NOUVELLE 



159 



Qu'il ait quelque cas en besache ; 
Aussy le vin pour le varlet. 

LA FEMME 

Va, meschant ; va, vilain varlet ! 
Entrez , monsieur. 

GUILLOT 

Quoy ! voicy rage. 
Je serviray de raaquerelage , 
Et si ne seray point payé ! 
140 Et monsieur sera aparuyé 
Avec madame sur un lict , 
Où très bien prendra son delict. 
Et moy, un povre maquereau , 
Feray la grue, ainsy qu'un veau. 
Non, non , je ne suys pas si beste. 

l'amoureux 

Ouvre. 

GUILLOT 

Vous me rompez la teste. 
Pensez-vous que vous laisse entrer 
Sans argent en main me planter ? 
Ah ! non « jamais ! 



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160 



LE RBTRAIGT 



l'amoureux 

Tiens, un escu. 

GUILLOT 

150 Saint Jehan ! voilà très bien vescu : 
Je ne demandoys aultre chose. 

LA FEMME 

Guillot , que la porte soit close ; 
Fais bien le guet. 

GUILLOT 

Laissez-moy faire. 
Monsieur, faictes la moy bien taire, 
Vous n'avez garde de la fascher. 
Apportez vous point à mascher ? 
Que je me sente du festin. 

l'amoureux 

Accolez moy, mon musequin , 
Quant je vous voys , je suis transy. 

GUILLOT 

160 Où est mon maistre , qu'il n'est icy ? 
Mort bieu 1 comme il riroit des dents. 



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FARCE NOUVELLE 



161 



LA FEMME 

Ah ! mon Dieu ! amy, entrez dedans 
Hardiment , mon mary est dehors ; 
S'en est allé, ne craignez fors 
Que de faire le passe temps. 
Mon mary est allé aux champs ; 
Aujourd'huy pas ne reviendra. 
Par quoy, amy, il vous plaira 
Coucher ensemble entre deux draps , 
Tous nus nous tenans par les bras , 
Voulez vous point ? 

l'amoureux 

Ma doulce amye , 
Vous obéir pas ne denye • 
Jamais n'eus si grand faim de boire. 
Baisez moi ! 

LA FEMME 

Accolez moy ! 

GUILLOT 

Voire ! 

Ferme, sanglez moy le mulet. 

l'amoureux 
Je suis maintenant à souhait. 

il. li 



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LE RETRAICT 



Jamais ne fus si à mon aise ; 
Venez, ma mye, que je vous baise . 
Toujours serez mon doulx tetin. 

GUILLOT 

Tantôt aura son picotin. 
Hé ventre bieu ! où est mon maistre ? 
Je crois qu'il vous envoyroit pestre. 
Regardez bien s'il la mordra. 

l'amoureux 

Nul en ce monde, tel temps n'aura, 
Jamais, car j'ay tout à souhait 
Ce qu'un amoureux doibt avoir. 
J'ay belle amye, j'ay or, monnoye, 
J'ay jeunesse, santé et joye. 

GUILLOT 

Il est bien vray, mais j'ay grand peur 
Qu'il n'y ait tantost du malheur. 

l'amoureux 

Manger nous fault ceste becace , 
Ma mye, helas, que j'apporte. 

GUILLOT 

Puisque je suis leur maquereau , 



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FARCE NOUVELLE 



163 



J'en mangeray quelque morceau ; 
t II n'est pas possible aultrement. 

l'amoureux 

Voire du don pareillement. 
Or sus, ma mye, faisons grand chère , 
Chose je n'ay tant fut elle chère , 
Qu'elle ne soit du tout à vous. 
200 II est ainsy, je vous avoue, 
A Dieu et à la vierge Marie. 

LA FEMME 

Grand mercy, sire. 

GUILLOT 

Qu'elle est marrye 
D'estre vis à vis du galant. 
Or là courage, sus , ma metresse, 
Sang dieu 1 vous petez bien de gresse. 

l'amoureux 
Je boy à vous. 

LA FEMME 

Non pas d'aultant. 

GUILLOT 

Monsieur, gardez la un petit , 



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LE RETRÀICT 



Elle a l'estomac fort petit , 
Plus petit qu'une pucelle , 
Moy je vous plegeray pour elle. 
Or regardez, ay-je failly, 
11 est dedans et non sailly , 
Àu diable ! laissez faire à moy. 

l'amoureux 

Tu es bon garçon par ma foy. 

LA FEMME 

De boire jamais ne recule. 

GUILLOT 

Monsieur, si je faulx par la goulle, 
Ne vous fiez jamais en beste. 
Ne laissez point à faire feste , 
Je voye en la porte. 

LA FEMME 

Or va. 
le mary commence. 
Holà ! ho ! ouvrez l'huys. 

GUILLOT 

Qui est là? 



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FARCE NOUVELLE 



165 



LE MARY 

Ouvrez. Le deable vous emporte. 

GUILLOT 

Ce deable abasti a la porte. 
Par la mort ! vous attendrez. 

LE MARY 

Ouvrez, de par le deable, ouvrez. 
Ouvriras tu, meschant folastre? 

GUILLOT 

Attendez, je n'ay pas haste. 

LE MARY 

Par Nostre Dame d'Orléans ! 
230 Si je puis entrer dedans , 

Les os je te rompray de coups. 

GUILLOT 

Adieu ! garde la queue des loups , 
Mais pensez vous qu'il est mauvais. 

LE MARY 

Ouvriras tu, méchant punays ? 
Par la mort ! je te tueray. 



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166 



LE RBTRAICT 



OUILLOT 

Dy moy ton nom, puis j'ouvriray. 
Pense-tu que je soys beste? 

LE MARY 

Gomment ! tu ne congnois pas ton maistre ? 

OUILLOT 

Vrayment vos blés sont bien saclés. 
240 Mon maistre, je voys quérir les clés. 
Ma metresse, voycy mon maistre. 

l'amoureux 

Vray Dieu ! où me pourray-je mettre ! 
Je suis perdu, je suis pery, 
Puisque voycy vostre mary. 
Conseillez moy que je doy faire. 
Jamais ne fus en tel affaire. 
Helas ! ma mye, voicy ma fin ! 

OUILLOT 

Tantost arez du ravelin , 

Quatre ou cinq grans coups tout d'un traict. 

LA FEMME 

250 Tost mettez vous en ce retraict, 



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FARCE NOUVELLE 



167 



Mon amy, ne vous soulciez. 
Si d'avanture vous toussiez, 
Boutez la teste dans le pertuys. 

LE MARY 

Hé puis ! hô ! ouvriras tu l'huys? 
l'amoureux 

Voicy pour moy piteux delict. 
Si me mettoys dessous le lict , 
Ce seroit le meilleur, ma mye. 

la femme 

Helas ! ne vous y mettez mye , 
Car si dessoubz le lict visoit , 
260 Et là caché vous advisoit , 

Mourir nous feroit langoureux. 

guillot 

Sus ! au retraict ; sus, amoureux , 
Car je voys ouvrir la porte. 
Encor j'ay peur qu'il ne me frotte. 
Mais devant que céans il entre , 
Ce vin je mettray à mon ventre. 

l'amoureux 

Helas, Guillot!. 



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168 



LE RETRAICT 



GUILLQT 

Monsieur, qu'on se cache. 
Metresse, osiez moy la becache , 
Si est-ce que j'auray cecy. 

LB MARY 

270 Ah ! Nostre Dame ! quest cecy ? 
De crier je me romps la voix i 

GUILLOT 

Holà ! mon maistre ! j'y voye. 
Entrez, soyez le bien venu. 
Vous est il nul mal advenu , 
Depuis le temps que ne vous vismes ? 

LE MARY 

Je vous rompray les eschines. 
Me faites vous rompre la teste? 

GUILLOT 

Vous puissiez avoir maie feste , 
Rompu vous m'avez le cerveau. 

LE MARY 

280 Dictes moi quelque cas nouveau. 
Où est ma femme? 



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FARCE NOUVELLE 



169 



LA FBMME 

Ah 1 mon mary 1 
Bien voys qu'estes marry. 
Le méchant ne vous a payé ? 

LE MARY 

Non. 

LA FEMME 

Ne s est il point essayé 
De vous faire quelque raison ? 

LE MARY 

Raison ! par ma foy, ma mye, non, 
Car trouvé ne Pay au logis. 
Onques puis que le logis 
Ne l'ay veu. 

LA FEMME 

Vierge Marie! 
Je ne fus jamais si marrye. 
A tous les deables soyent les meschans 
Qui trompent ainsy les marchans, 
Les gens d'honneur et gens de bien. 

T. II 15 



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170 



LE RETRAICT 



LE MARY 

Et de nouveau, hé, a t-il rien , 
Que dit on de bon? 

LA FEMME 

Tout va bien. 

GUILLOT 

Tout va bien puisque la nappe. 

LA FEMME 

Il faudra bien que je te happe. 

GUILLOT 

Mon maistre, voicy la nappe myse , 
Ils ont bien levé la chemise. 

LE MARY 

300 Qui,Guillot? 

GUILLOT 

Qui? ma foy, personne. 

LA FEMME 

. Guillot, que mot on ne sonne . 



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FARCE NOUVELLE 



171 



GUILLOT 

Qui, moy ? si feray, par mon ame, 
Que me donnerez vous, madame. 
Si je n'en diray rien ? 

LA FEMME 

Guillot, 

Voilà pour toy, ne sonne mot. 

GUILLOT 

Voycy ce que je demandoys. 

Hé ! que l'amoureux hait, je croys, 

D'estro si long temps au retraict. 

LA FEMME 

Tays toy, auras tu tant de plet ? 
Et puys , mon mary , comme est-ce 
Qu'il vous a joué de finesse 
Ce meschant malhureux homme? 

GUILLOT 

11 vouldroit bien estre à Rome, 
Vostre amoureux dont n'ose dire. 

LA FEMME 

J'ay le mien cœur tout remply d'ire, 



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172 



LE RETRAICT 



De ce sot qui rompt nos propos. 
H s'en estoit allé dehors, 
Ce meschant? 

LE MARY 

Ouy pour vray, 
C'est un meschant luron prouvé. 
320 Je suis fort las, j'ay tant trotté ! 

GU1LLOT 

Helas ! povre amoureux crotté, 
Tu es bien en grand soulcy ! 

LE MARY 

Amoureux, dea ! qu'est cecy ? 
A-t-il un amoureux céans ? 

LA FEMME 

Ah ! Nostre Dame d'Orléans \ 
Prenez vous garde à ce qu'il dit ? 

LE MARY 

Je puisse estre de Dieu mauldit , 
Si je n'en sçay la vérité. 
Viens, qui t'a incité 
330 De parler d'un amoureux? 
Je ne seray jamais joyeux 
Jusques à ce que le sauray. 



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FARCE NOUVELLE 



173 



GUILLOT 



Que je Taye dit, il n'est pas vray, 
Jamais n'en parlis, mon maistre. 



LE MARY 



Vertu bieu ! que pense cy estre , 
Je l'ay ouy de mes oreilles. 

LA FEMME 

Mon mary , je m'émerveille, 
Que prenez garde à ce lourdault. 

LE MARY 

Je Pay ouy, il disoit tout hault. 
340 Viens ça, malhureux, qu'as tu dit ? 

GUILLOT 

Rien ou je soys de Dieu mauldit. 

LE MARY 

Rien ! hé de quoi parlois tu doncques ? 

GUILLOT 

Escoutez que je vous compte. 
Je parlois de la haquenée 
Qui a esté bien chevauchée, 
D'un aultre bien mieux que de vous. 
h. 15 



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174 



LE RETRAICT 



LE MARY 

Je prie à Dieu que les maulx loups 
Te puisse le gosier ronger. 
Ce fol ne fait que songer. 
350 Laissez cela. Avez vous rien 
A menger ? je mengeroy bien, 
Je n'ay mengé puis que partis. 

GUILLOT 

Quoy ! voulez vous d'une perdris? 
Baillez moy sans plus enquérir, 
De l'argent, je l'iray quérir. 

LE MARY 

Tiens, voilà cinq sous . 

GUILLOT 

Voyla la beste. 
Ah mortbieu ! je leur en baille , 
Je prens argent à toutes mains. 
Voycy pour moy, c'est pour le moins. 
360 Je le mettray dedans ma bourse. 

Mon maistre, grand chère qu'on se course, 
Voyez la perdris que j'apporte. 

LE MARY 

Où l'as tu prise ? 



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FARCE NOUVELLE 



175 



h> GUILLOT 

Gy en la porte. 

LE MARY 

La portoit il toute rostye ? 

GUILLOT 

Ouy et avecques la rostye , 
Que vous voyez icy dessoubz. 

LE MARY 

w 

Combien couste elle? 

GUILLOT 

Cinq sous, 

LE MARY 

Sus! sus! mengeons, qu'on s'esjouisse. 
Comment ! qu'est devenue la cuisse ? 

LA FEMME 

370 Par Nostre Dame ! je ne sçay. 

LE MARY 

Qu'en as tu fait? 



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LE RETRAICT 



OUILLOT 

Je l'ai laissée 
Tomber, puis le chat Ta mengée. 

LE MARY 

L'aurois tu point bien vendengée? 
Tu as esté, par Dieu ! le chat. 

LA FEMME 

C'est pour la peine de l'achat. 
Cela luy a fait un grand bien. 

GUILLOT 

Si mengée l'ay, je n'en sçay rien, 
Plus ne m'en souvient, par la mort ! 

LE MARY 

Mengez, ma femme, tiens Guillot ; 
Mors, puis après nous verse à boire. 

OUILLOT 

Buvez donc tout plain le voyre. 

Puis après je vous plegeray. 

Attendez, je commenceray. 

Je boys à vous tous deux ensemble, 

Et puis mon maistre que vous en semble? 

Ay je failly? 



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FARCE NOUVELLE 



177 



LE MARY 

Ah ! par dieu , non. 

LA FEMME 

Guillot est un bon compaignon. 

GUILLOT 

A bien siffler ne faulx jamais. 

l'amoureux 

Je suis servy d'un piteux mais ; 
390 Helas ! je ne sauroys issir. 

le MARY 

Qu'est ce là que j'oye toussir? 

GUILLOT 

Que c'est ! c'est vostre haquenée 
Qui a la toux. 

LE MARY 

Dieu y ait part ! 

LA FEMME 

Mon amy t vous nous gasterez, 

Je vous prye, quant vous tpussirez, 



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LE RETRAICT 



Afin qu'on ne vous oye en effet , 
Mettez la teste dans le retrait. 

l'amoureux 

Voycy des mots fort rigoureux. 
Helas ! fault il qu'un amoureux 
Mette la teste en si ort lieu. 
Hé ! qu'est cecy ? helas, vray dieu 
Las je ne puys avoir ma teste, 
Voycy pour moy dure tempeste , 
Et oultre plus la puanteur, 
Helas ! me fait faillir le cœur ; 
J'ay le visage plein d'ordure. 

GUILLOT 

Endure, povre amoureux, endure , 
Parlez plus bas, de par le deable ! 

l'amoureux 

Voycy un cas fort pitoyable ! 
Fault il que je meure icy ? 

GUILLOT 

Par la chair bieu ! il a vessy. 
Au moins ça ne sent guère bon ; 
Et vous faisiez du compaignon 
Nagueres avec ma metresse. 



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FARCE NOUVELLE 



179 



LE MARY 

Guillot ! 

QUILLOT 

Qu'est ce? 

LE MARY 

Si grand détresse 
M'est venu empongner si fort , 
Au petit ventre, que nul confort 
Trouver ne puis ; il fault d'un trait 
M'aller esbattre à mon retrait, 
Afin que mon mal s'amollie. 

GUILLOT 

Et moy un peu fault que je pisse, 
Et je vous tiendray compaignîe. 

LE MARY 

Helas, le ventre ! 

GUILLOT 

Hé 1 la vessie ! 

LE MARY 

Je croys que tu fais de la beste. 



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180 



LE RETRAICT 



l'amoureux 
Las ! ils me chiront sur la teste. 

LE MARY 

Hél qu'est cecy I las, je suis mort. 

l'amoureux 
Brou ! ha! haï 

GUILLOT 

Hé ! fuyons fort ; 
Gardez bien qu'il ne vous emporte. 

la femme 

Ah ! Nostre Dame ! je suis morte. 

l'amoureux 

430 Je vous porteray en enfer 
Avec le maistre Lucifer, 
Lequel vous rompra la teste. 

GUILLOT 

Hé I apportez de l'eau benoiste : 
Aspergez me Domine. 
Mon maistre, vous estes damné , 
L'amoureux deable vous vient quérir ! 



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FARCE NOUVELLE 181 
LE MARY 

Hé! doux Dieu. 

l'amoureux 

Et de courir ! 
De la grand peur ils sont fuys. 

LA FEMME 

De courir hors d'alaine suis. 

GUILLOT 

Et moy aussy. 

LE MARY 

Ah ! Nostre Dame ! 
En vostre garde prenez mon ame. 

GUILLOT 

Et moy la mienne. Où est il allé? 
Je crois qu'il soit redevalé 
Là bas au grand infernal. 

LA FEMME 

Qu'il m'a fait de peur et de mal. 

LE MARY 

Hé! doux Dieu ! que pourroit-ce estre? 
t. n 16 



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182 



LE RETRAICT 



GUILLOT 

Ah ! je sçay bien que c'est, mon maistre. 

LE MARY 

Hé! quoy? 

GUILLOT 

Au deable les jaloux. 

Qui vous eust etrenné tretoux , 
450 En enfer, ce n'eust esté moy. 

Escoutez la raison pourquoy : 

C'est que tantost par cas diffame , 

Avez esté vers vostre femme 

Jaloux, sans cause ni raison , 

Et n'eust esté mon oraison , 

Le deable des jaloux emporté 

Vous eust là bas et transporté. 

Or ne soyez jamais jaloux. 

Mettez vous donc à deux genoux , 
460 Criez mercy à vostre espouse. 

LE MARY 

La fielvre cartaine m'espouse, 
Si jamais je suis jaloux. 

GUILLOT 

Mettez, mettez vous à genoux. 



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FARCE NOUVELLE 



183 



LE MARY 

Je prye Dieu que ravissans loups 
M'estranglent se plus je marmouse. 

GUILLOT 

Mettez vous donc à deux genoux , 
Criez mercy à vostre espouse . 

LE MARY 

Me voylà. 

GUILLOT 

Sus , que Ton ne bouge ; 
Ne luy criez vous pas mercy? 

LE MARY 

470 Ouy et me mets à mercy, 
Du tout à elle m'abandonne. 

GUILLOT 

Pardonnez luy ! 

LA FEMME 

Je lui pardonne. 

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184 



LE RETRAIGT 



GUILLOT 

Voylà vescu honnestement ; 
Vous luy pardonnez ? 

LA FEMME 

Ouy vrayment. 

OUILLOT 

Or sus, mon maistre, levez vous : 
Vous ne serez jamais jaloux , 
Or non ? 

LE MARY 

Que je soys donc bany. 

GUILLOT 

Voyla un bon jehan de Lagny ; 
Mort bieu ! il en a bien d'une. 

l'amoureux 

480 J'ai eschappé belle fortune, 
Sans la finesse, j'estoys mort. 
Ce n'est pas tout que d'estre fort; 
Mais c'est le tout pour abréger, 
Quant l'on est en quelque danger , 
Trouver fault manyere et stylle , 



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FARCE NOUVELLE 



185 



D'en eschapper et estre abyllc, 
En évitant la mort et blasme. 
Messieurs, de peur qu'on ne nous blâme, 
Disons au partir de ce lieu , 
490 Une chanson pour dire adieu. 



FIN 



16 



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FARCE 

DES 

TROIS COMMÈRES ET UN VENDEUR DE LIVRES 



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NOTICE 

SUR 

LA FARCE DES TROIS COMMÈRES 

ET UN VENDEUR DE LIVRES 

La Farce du Vendeur de Livres est fort 
intéressante pour l'histoire littéraire du 
xvi e siècle. C'est évidemment une critique 
assez violente dirigée contre la littérature 
nouvelle, qui tendait à se substituer à celle 
du Roman de la Rose et des œuvres allégo- 
riques, qui commençaient à passer de 
mode. Les femmes blâment les auteurs qui 
écrivent des pièces légères où la morale 
n'est pas plus respectée que la langue. 
Parmi les ouvrages dont le vendeur crie les 



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190 FARCE DES TROIS COMMÈRES 

titres, il y en a beaucoup, en effet, qui 
n'ont pas une grande valeur littéraire; 
mais comme ils sont devenus rares, ils sont 
fort recherchés des amateurs. D'ailleurs, 
ils nous apprennent toujours quelques par- 
ticularités sur les mœurs, les usages, les 
habitudes de nos ancêtres, et à ce point de 
vue. ils méritent d'être conservés. Nous 
avons imprimé deux versions différentes 
de cette farce, parce qu'indépendamment 
des variantes qu'on y pourra remarquer, 
nous avons pensé que le lecteur pourrait, 
en les comparant, saisir quelques-uns des 
procédés qu'employaient les auteurs des 
xv* et xvr siècles pour construire ces œu- 
vres légères. On voit que, sur un même 
thème, chacun mettait les broderies qui lui 
convenaient. Ici, on supprimait un per- 
sonnage ; là, on en ajoutait un autre ; mais 
le fond, les idées et quelquefois les vers 
étaient toujours les mêmes. 



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FARCE JOYEUSE 

A TROIS PERSONNAGES 

C'est à sçavoir un Vendeur de livres 
et deux Femmes. 



l'homme commence. 

Livres, livres, livres, livres ! 
Chansons, balades et rondeaux ! 
J'en porte à plus de cent livres. 
Livres, livres, livres, livres ! 
Venez tost que je vous en livres, 
Jamais n'en vistes de si beaux. 
Livres, livres, livres, livres ! 
Chansons, balades et rondeaux ! 
La farce Jenin aux fiscaux ! 
10 Le testament maistre Mymin ! 
Et maistre Pierre Patelin , 
ii. 18 



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210 



FARCE D'UN VENDEUR DE LIVRES 



Et les cent nouvelles nouvelles, 
Pour dames et pour damoiselles 
Qui ayment à passer le temps. 

LA PREMIÈRE FEMME 

Ma commère ! 

LA DEUXIESME FEMME 

Je vous attens ! 

LA PREMIERE 

He qu'est ce que j'ay ouy crier? 

LA DEUXIESME 

Ce sont les gens, qui toujours 
Quelque chose de nouveau porte. 

LA PREMIERE 

Laissons lay crier à la porte, 
20 Puis s'il a rien qui nous duict , 
Nous irons pour nostre deduict 
L'acheter. 

LA DEUXIESME 

Vous dictes très bien . 
l'homme 

. L'estat de ceulx qui ne font rien , 
Et le gouvernement des nouriches. 



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ET DE DEUX FEMMES 



211 



LÀ PREMIÈRE 

Voila des traictés beaux et riches, 
De quoy n'ouys jamais parler. 

LA DEUXIESME 

Il le fault laisser estaller, 

Puis on prendrons ce qui nous fault. 

l'homme 

Le trespassement saint Bidault, 
30 La vie sainte Perenelle , 
La chanson de la Peronelle , 
La vye Monsieur saint Françoys, 
Le confiteor des Angloys, 
Le trepassement de la Rayne 
Avec la gesine de Saine, 
Et l'obstination des Souyches. 

LA PREMIERE 

Pardon ! voulentiers je les visses, 
Et me dust il couster mes niques. 

LA DEUXIESME 

Aussy fissay-je par mes niques , 
40 Ma commère, parlons à luy. 



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212 FARCE D 5 UN VENDEUR DE LIVRES 

l'homme 

Et puis seray-je icy meshuy 
A crier, sans mes livres vendre ? 

LA PREMIERE 

Nous le faisons beaucoup attendre, 
Ma commère. 

LA DEUXIESME 

Ce faisons mon ! vraymys. 
l'homme 

La propriété des rubis, 
Avec la nature des pierres, 
Le devis des mers et des terres, 
Avecques le dit des pays . 

LA PREMIERE 

Pardon ! nous sommes esbays 
50 D'ouyr tant de nouvelles choses . 
A-vous le roman de la rose? 

l'homme 
Ouy, madame. 

LA PREMIERE 

Monstrez le nous. 



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ET DE DEUX FEMMES 



213 



l'homme 

Il est enfermé tout dessoubz, 
Pas ne Ferez si promptement. 

LA DEUXIESME 

Monstrez nous le trepassement 
De quelque bon saint glorieux. 

l'homme 

Madame, je feray bien mieulx, 
Vous erez la mort saint Bidault. 

LA PREMIERE 

Fi , fi , ostez, il ne nous fault 
60 A lire que Vita patrum. 

l'homme 

Je l'ay laissé pour le patron 
D'imprimerie, à l'imprimeur . 

LA DEUXIESME 

Quels livres a-vous donc» seigneur, 
Plaisans à lire ? 

l'homme 

J'ay la farce 



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214 FARCE D'UN VENDEUR DE LIVRES 

Des femmes qui ont la langue arse, 
Quant ils blasonnent leurs marys. 

LA PREMIERE 

Monstrez les regrets des marys, 
Si vous les avez, ils sont beaux. 

l'homme • 

Je n'ay que livres tous nouveaux ; 
70 Composés tout nouvellement. 

LA. DEUXIESME 

Monstrez nous le Vieil Testament , 
Gomme la prophétie de Balam , 
Le sacrifice d'Abraham , 
Le jugement de Salomon . 

l'homme 

He ! vous les arez au sermon , 
Que Ton fera tout ce karesme. 

LA PREMIERE 

He ! venez ça! c'est tout de mesme. 
Et les beaux dits des saints , 
Les a- vous point entre vos mains ? 
80 Les portez vous point imprimés ? 



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ET DE DEUX FEMMES 



215 



l'homme 

Nennin ! mais j'ay les dits rimés 
De mariage, qui se plaint , 
De ce qu'il y a coquu maint , 
Qui sait que sa femme le fait. 

LA DEUXIESME 

Fy ! fy ! ostez, cela est infect. 
Et on fait des facteurs nouveaux , 
Qui ne savent non plus que veaux, 
Et ne saroyent trouver matière, 
De rimer selon leur manière , 
90 Si ne blasonnent nos estas . 

LA PREMIERE 

Vous dictes vray, j'en says un tas 
Qui ne savent lettre ne prose, 
Et parlent de métamorfose, 
D'arismetique et théologie, 
Et si n'en virent jamais livre. 

l'homme 

Dame ! vous savez qu'il fault vivre, 
Ainsy qu'on peult. 

LA DEUXIESME 

Mais justement , 



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216 FARCE D'UN VENDEUR DE LIVRES 

Ne parlant d'aultruy nullement , 
Et vous voyez ces cocardeaux , 
100 Qui font balades, chansons, rondeaux, 
Tant dissolus et tant diffamés, 
Que n'en déplaise aux bonnes femmes, . 
Et gens de bien . 

LA PREMIERE 

Et non sans cause, 
Ils ne saroyent faire une glause, 
Que de paillardise ou d'ordure, 
Et n'y a pié ne mesure, 
Setille, ne bon art , ne vaine. 

l'homme 

Voyez la gesine de Saine, 
Est el pas bien faicte et rimée ? 

LA DEUXIESME 

110 He I qui deable Ta imprimée, 
Il n'y a rime ne raison. 

l'homme 

Voicy la farce Jehan Loyson , 
Et le testament Pierre maistre . 



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ET DE DEUX FEMMES 



217 



LA PREMIERE 

Oh ! nous n'en voulons rien congnoislre, 
Car il n'y a passe temps nul. 

l'homme 

Les ceulx qui ont le feu au cul , 
Vocy la farce ! 

LA DEUXIESME 

Paix ! vilain . 

l'homme 

Je vous la vens avant la main , 
Et la chanson du petit chien. 

LA PREMIERE 

120 He ! tu says bien qu'el ne vault rien , 
Et qu'elle est orde et infecte. 
Que mauldit soit il qui l'a faicte > 
Ainsy au deshonneur des dames. 

l'homme 

Voicy le roman de ces femmes, 
Qui sont deulx ou trois jours perdus , 
Et semblent à voir qu'ils soyent fondus 
Et sont en quelque lieu en mue , 

T. II. 19 



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218 



FARCE D'UN VENDEUR DE LIVRES 



Où que souvent on leur remue, 
Le derrière, aussy le devant . 

LA DEUXIESME 

130 Nous ne voulons point ce roman . 
l'homme 

Quoy donc ? 

LA PREMIERE 

La vie saincte Agnès. 
l'homme 

Dame ! voicy l'acte des Jehannes, 
Qui font plaisir à leur metresse, 
Sans que personne le congnoisse, 
Tandis que leur maistre est dehors. 

LA DEUXIESME 

Par le grand Dieu misericors ! 
Tu ne vaulx rien qu'à dire mal. 

l'homme 

Voulez vous point le doctrinal 
Des chamberières, ou mequines, 
140 Qui vont cheux d'aucunes voisines, 
Faignant aller à la fontaine, 



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ET DE DEUX FEMMES 



219 



Et sont perdus une semaine, 

Ou trois, ou quatre nuits du moins? 



LA PREMIERE 

Tant il est d'hommes vilains, 
Et deshonnestes de leur bouche ! 

l'homme 

Vouecy à ce papier sans reproche, 
De ceulx qui se vont estaller 
A Nostre Dame pour parler, 
A quelqu'un , ou qui baille signe, 
450 Le jour, l'heure, ou qui détermine 
De se trouver au lieu prédit. 

LA DBUXIESME 

Tu es un homme bien maudit ! 

l'homme 

Tenez ! voilà le contredit 

De la chamberière et du prestre. 

LA PREMIERE 

0 nous n'en voulons rien congnoistre ! 

LA DEUXIESME 

Says tu qu'y a ? Va hors de cest estre, 



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FARCE D'UN VENDEUR DE LIVRES 



Ou Ton te fera bien vyder. 

Commelht, on te deust lapider, 

Et ceulx qui parlent mal d'aultruy. 

l'homme 

160 Madame î Vouecy à ce papier flestry, 
L'est a t de cest enfant soubs âge , 
Qui baille à son hoste un gage 
Pour plus la moitié qu'il ne vault. 

LA PREMIERE 

Faux bagoulard ! faictes un sault. 

l'homme 

De Luc et Noc le bel assault , 
De Tournay le dépucelage ! 

LA DEUXIESME 

Faux bagoulard ! faictes un sault , 
Ou vous viendrez tost au partage. 

l'homme 

Des coups la daine et le dimage. 
170 Les femmes qui ont le filet ! 

Ceulx qui renouvellent leur lect ! 

LA PREMIERE 

Te tairas tu? 



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et de deux femmes 221 
l'homme 

Les malcontentes ! 

LA DEUXIESME 

Iray-jeàtoy? 

l'homme 

Les fieux et rentes 
Des filles nouvelles rendus ! 
La farce des nouveaux ponus ! 
Et le depuceleur de nouriches ! 

' LA PREMIERE 

Ma commère, nous sommes fiches 
De l'empoigner. 

LA DEUXIESME 

Ce sommes, mon ! 
Prenons le sans plus de sermon , 
L'une à cheveux l'autre à la gorge. 

l'homme 

Hé I qu'est ce icy, vertu saint George ! 
J'aray icy beaucoup à faire, 
ii. 19 



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FARCE D'UN VENDEUR DE LIVRES 



LA PREMIERE 

Hé ! ça ! ça ! l'on vous fera taire, 
Puis qu'on vous tient. Atout ! atout ! 

l'homme 

0 va deboult ! deboult ! 
Dieu gard du mal la chenille ! 

LA DEUXIESME 

Vous en arez des coups cent mille, 
Faux bagoulard , si vous dictes rien. 

l'homme 

« Maudit soit le petit chien , 
190 « Qui abouaye, abouaye, abouaye, 
« Qui abouaye, et ne voit rien. » 

LA PREMIERE 

Sus, à genoux et qu'on le bede ! 
l'homme 

Ne luy boutez point s'il n'est rede. 

LA PREMIERE 

Encor chante et tousjours caqueté ! 



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ET DE DEUX FEMMES 



S23 



l'homme 

a Trou du cul perette ! 

« Choquez des talons , 

« Ghucez la pignete, 

« Vydez les galons ! » 

Le trespassement des nonains ! 

Le blason du marché aux fesses ! 

LA DÈUXIESME 

Nous n'en sarions estre metresses 
Ma commère, nous perdons temps. 

LA PREMIERE 

On ne saroit tenir les gens 
De parler et les faire taire. 

l'homme 

Mais me feriez vous bien taire ! 
Non , non, pour or ni argent. 
Prenez en gré le passe temps. 
Et au partir de ce lieu , 
Une chanson pour dire adieu. 



FIN 



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FARCE 

DU COUSTURIER & SON VARLET 

DEUX JEUNES FILLES ET UNE VIEILLE 



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vkr \lr vt/ vkr \tr vk/ vk/ \tr vkr \t<^ ^tr vk/ 
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NOTICE 

SUR LA 

FARCE DU COUSTURIER & SON VARLET 

DEUX JEUNES FILLES ET UNE VIEILLE 



Un couturier se plaint de la mode du 
temps présent, qui fait que Ton met aux 
habits 

Si peu de drap, en bonne foy , 
Qu'on n'en sauroit grumer un doy, 
Pour refaire un talon de chausse. 

Tandis qu'il s'admire dans ses œuvres et 
qu'il déclare : 

Qu'il n'est soubz la machine ronde 
Cousturier qni ouvrage mieux 
En habits que luy . 



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228 



FARCE 



Il se présente un badin, un mauvais plai- 
sant, qui ne sait faire œuvre de ses dix 
doigts et qui veut se louer comme valet à 
tout faire. Le couturier l'accueille, et au 
môme instant, entrent trois femmes qui 
viennent se faire habiller et veulent être 
servies en même temps. Elles crient, tem- 
pêtent et interpellent le couturier, occupé 
à se quereller et à se battre avec son valet, 
qui se moque dé lui. Le pauvre homme 
ne sait à laquelle entendre. Il en résulte 
un dialogue fort salé, alimenté par les plai- 
santeries grivoises que suggèrent au badin 
les fonctions de deux hommes qui pren- 
nent mesure de robes et basquines à trois 
femmes. 

On trouve dans le recueil de farces, pu- 
blié dans la Bibliothèque Elzévirienne, une 
autre farce d'un couturier, que Ton peut 
approcher de celle-ci, quoiqu'elle soit très- 
différente. On y voit figurer un couturier 
et son valet nommé Ysopet. Celui-ci est un 
jeune gaillard fort éveillé; une chambrière 
donne au couturier une perdrix rôtie pour 
l'engager à faire plus promptement sa 



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A CINQ PERSONNAGES 



229 



robe, et elle le prie d'en réserver une part 
pour Ysopet. C'est bien inutile, répond le 
couturier, Ysopet déteste le gibier; et il 
garde la perdrix pour lui tout seul. 

Ysopet, quand il apprend la chose, jure 
de se venger, et il y parvient en faisant 
passer son maître pour fou et en le faisant 
rosser d'importance . 



20 



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FARCE 

A CINQ PERSONNAGES 

c'est à sçavoir 
LE COUSTURIER & SON VARLET 
DEUX JEUNES FILLES & UNE VIEILLE 



le gousturier commence. 

Est- il soubz la machine ronde 
Cousturier qui ouvrage mieux 
En habits que moy? Je me fonde 
Qu'il n'en est nul dessoubz les cieux. 
Je fais tant aux jeunes qu'aux vieux, 
Prestres, laïques, femmes, mequines, 
Et filles, habits à basquines, 
Foys collés, robes et pourpoincts, 
Et si subtilement je guigne, 



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232 FARCE 

10 A bien souvent remplir mes poincts. 
Autre foys ay-jo fait sans points, 
Sans pièce et sans cousture, habit 
Qui ne me faisoit grand labis. 
J'en sortissoys honnestement ; 
Et si Dieu sait certainement, 
Gomme j'y faisoys ma bannière 
Grande, planturesse et plainiere, 
Selon l'habit que pou voit estre. 
Mais ce jour d'huy on y fait mettre 

20 Si peu de drap en bonne foy, 

Qu'on n'en sauroit grumer un doy, 
Pour refaire un talon de chausse. 

LA VIEILLE COMMÈRE 

Hau I ma commère. 

LA DEUXIESME COMMERE 

Je me chaulse. 
Que vous fault-ii à ce matin ? 

LA VIEILLE 

Faites-vous saulpiquet ou saulce ? 
Hau ! ma commère. 

LA DEUXIESME COMMERE 

Je me chaulse ! 



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A CINQ PERSONNAGES 



LA VIEILLE 

Si fault qu'une foys vous deschausse, 
Au feu mettrai vostre patin. 
Hé I ma commère. 

LA DEUXIESME 

Je me chaulse. 
Que vous fault-il à ce matin ? 

LA VIEILLE 

Il m'est prins à mon advertin, 
Si quelque un avec moy s'escote, 
De faire tailler une cotte. 
Me veux-tu tenir compaignie, 
Ma commère? 

LA DEUXIESME COMMÈRE 

Dieu vous bénie. 
Ouy vrayment, et marcher devant. 

LA VIEILLE 

Or allons puis qu'avons bon vent. 
Appelez vostre chamberière, 
Gillette, es-tu point là derrière ? 

LA CHAMBERIERE 

Ouy, ouy, metresse. 
ii. 20 



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234 



FARCE 



LA DEUXIESME COMMERE 

Viens, viens t'en ! 
Et t'estrique assez gentiment, 
Je te veux de bref marier. 

LA CHAMBERIERE 

Je ne me fais point harier. 
Allons là où il vous plaira, 
Preste je suis. 

LE BADIN 

« Je ne say qui l'aura, l'aura, 
« C'est en la croche des conars, 
« Il y aura force regnars 
« Prins cest esté à la voilée. » 
50 Par Dieu ! j'ay la teste affollée. 

Trouver quelque maistre il me fault. 

Je fais moy en trois pas un sault. 

Colin c'est assez devisé . 

Mais n'ai-je pas là' ad visé 

Un compaignon ? Ah ! c'est mon homme. 

A luy je voye parler en somme. 

Dieu gard, maistre ! 

LE COUSTURIER 

Honneur . 



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A CINQ PERSONNAGES 



LE BADIN 

Et puis ? 

LE GOU8TURIER 

A vous affaire à ma boutique? 

LE BADIN 

Comme se nomme la pratique ? 

LE COUSTURIER 

60 J'ay servy les rois et les princes, 
Mais quand il falloit que je prinse 
Mesure, ah ! vous debvez savoir 
Que je ne les vouloys que voir. 
Etoit-ce besoigné , compaing ? 

LE BADIN 

Il vous falloit faire le baing, 
Vrayment, vous l'avez bien gaigné, 
Devant que je soys enseigné. 
Mais dictes-moy de quel mestier 
Vous vous meslez : de savatier, 
70 Maçon, menuisier, charpentier ? 
Ce sont tous mestiers de mesure. 

LE COUSTURIER 

Rien n'en diray je vous asseure, 
Tant que vous m'ayez dit le vostre. 



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236 



FARCE 



LE BADIN 

Aussy vray que la patenostre, 
Desclarer vous veuii mon affaire . 
Stilé suis à tous mestiers faire, 
Et plusieurs autres . 

LE GOUSTUR1ER 

C'est assez. 
Ains que nos propos soyent passés! 
Vous voulez vous louer à moy ? 

LE BADIN 

80 Hé ! ouy vrayment . 

LE GOUSTUR1ER 

En bonne foy, 
Quans escus voulez- vous gaigner? 

LE BADIN 

Hé ! vous me verrez besongner, 
Puis après nous ferons du prix . 

LE GOUSTURIER 

Vous estes homme bien appris. 
Gousturier suis à la pouldrete, 
Besongner il fault. 



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A CINQ PERSONNAG 



237 



LE BADIN 

Bien me haicte î 
Arimé me voyla tantost. 

LA VIEILLE 

Hé ! commère. 

LA JEUNE 

Cheminons tost, 
Trop long temps avons séjourné. 

LA GHAMBERIERE 

90 Mon maistre aura tantost disné, 
Gardons bien d'estre avissées dame. 
Dieu gard cousturier ! 

LE COUSTURIER 

Honneur, dame ! 
Gomme vous portez-vous? 

LA VIEILLE 

Très bien . 

LE COUSTURIER 

J'en suis joyeux. 

LE BADIN 

Ah ! bonne femme. 



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238 



FARCE 



LA JEUNE 

Dieu gard cousturier ! 

LE COUSTURIER 

Honneur, dame ! 

LE BADIN 

Chascun de nous de corps vous ame, 
Entrez icy, ne craignez rien. 

LA CHAMBERIERE 

Dieu gard cousturier ! 

LE COUSTURIER 

Honneur, dame ! 

LE BADIN 

Comment vous portez-vous? 

LA CHAMBERIERE 

Très bien. 

LE COUSTURIBR 

100 A vous affaire de mon bien? 

Commandez tout ce qu'il vous plaist 



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A CINQ PERSONNAGES 



239 



LE BADIN 

Ils l'amuseront de leur plait; 
Maistre, vous gastez la besongne . 

LE GOUSTURIER 

Paix ! valet, que point on ne hongne, 
Vous n'estes pas encor stillé. 

LE BADIN 

Il y aura bien babillé, 

Premier qu'ils partent hors d'icy. 

LE GOUSTURIER 

lia I vous me donnez grand soulcy, 
Varlet, vous vous ferez charger. 



LE BADIN 

110 Pour vous il y auroit danger, 
Que ne me missiez en deffense . 



LE GOUSTURIER 

A qui parlez-vous quand j'y pense? 
Vous pensez- vous de moy railler ? 
Sang bieu ! vous vous ferez bailler 
De l'aune et bastre de mesure . 



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FARCE 



LE BADIN 

Vous n'oseriez, je vous asseure, 
Je ne suis pas à vous loué . 
Venez-y, beau sire. 

LE COUSTURIER 

Avoué 

Vous m'avez, corps de mon Dieu ! 
Vous semble-t>-il que ce soit jeu? 
Meschant, vous gaignerezau pié. 

le badin s'enfuit. 

Par Dieu 1 quant j'ay bien espié, 
Je croy que battre me vouldroit. 
Quel maistre ! mieux fuir vauldroit, 
Que se trouver dessoubz sa main . 

LA VIEILLE 

Seray-je icy jusqu'à demain? 
Despecbez-moy . 

LA JEUNE 

Et moy? 

LA CHAMBERIERE 

Et moy 



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A CINQ PERSONNAGES 



241 



LE COUSTURIER 

Quoy ! despecher tous trois ensemble . 

LE BADIN 

Ils vous mettront en grand esmoy . 

LA GHAMBERIERE 

130 Despechez-moy ? 

LA JEUNE 

Et moy? 

LA VIEILLE 

Et moy? 

LE COUSTURIER 

Hé ! qu'est-ce icy ? 

LE BADIN 

En bonne foy, 
Maistre, la peau du cul vous tremble. 

LA VIEILLE 

Despechez-moy * 

LA JEUNE 

Et moy? 

T. II. 21 



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242 



FARCE 



LA GHAMBBRIERE 

Et moy? 

LE GOUSTURIER 

Quoy ! despecher tous trois ensemble? 

LA VIEILLE 

Cousturier, comme il me semble, 
Premier me debvez despecber. 

LA JEUNE ET LA. GHAMBERIERE ENSEMBLE 

Mais moy , cousturier ? 

LE COUSTURIER 

Tant prescherl 
Le deable vous puisse enlever. 

LA GHAMBERIERE 

Si me faictes le poing lever, 
1 40 Je vous casseray le museau . 

LE COUSTURIER 

Non ferez ! 

LE BADIN 

Eh I bastez ce veau, 
Qu'il soit vanné à double vont. 



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A CINQ PERSONNAGES 243 
LE COUSTURIER 

Or ça ! laquelle Va devant? 

LES TROIS ENSEMBLE 

Moy! 

LE COUSTURIER 

En mal an puissiez entrer. 
Si me fauit ma folye monstrer, 
Toutes trois je vous housseray . 

LA CHAMBER1ERE 

Vous, vilain ! par Dieu , je sauray 
Si pour moy vous seriez trop fort. • 

LA JEUNE 

Et moy ! 

LA VIEILLE 

Et moy ! 

LE COUSTURIER 

Ah ! je suis mort 1 
Hé! holà! je suis affolé. 

LE BADIN 

Hé ! la, la, qu'il soit bien roullé, 
Qu'il ait la teste amollyée. 



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FARCE 



LA VIEILLE 

Cuydez-vous ma force lyée, 
Pour tant se je suis ancienne ? 

LE COUSTURIER 

Helas î monseigneur saint Estienne, 
Delivrez-moy de ce tourment. 
Ah ! Jésus, Maria ! 

le badin, en frappant. 

Hé ! vrayment, 
Il en a assez, ma commère. 
Maistre, servez la bonne mère 
La première, et puis l'autre après. 
Et je serviray par exprès 
Geste chamberiere joyeuse . 
Allons ! viens-t-en, mon amoureuse, 
Veulx-tu que ta mesure prengne? 

LA CHAMBERIERE 

Je veux qu'en la façon d'Espaigne, 
Me fassiez une verte cote, 
Que le corps viengne. . . 

LE BADIN 

Sus la mote 



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A CINQ PERSONNAGES 



Je voye mettre du jartier à point. 
Comment mon maistre a esté oingt. 
Maistre, avez-vous les coups compté ? 
N'allez point à la vicomté 
Demander le poids de leurs mains, 
Bien le sçavez. 

LE COUSTUHIER 

C'est pour le moins, 
Toujours les perdans sont moqués. 

LA VIEILLE 

Gardez bien que vous n'aboquiez 
Vos doigts à mon drap, cousturier. 
Or commençons. 

le coDSTURiER , en mesurant. 

Ça ! tout premier. 
Vous les voulez à la vasquine ? 



LA VIEILLE 

Ouy dea! 

LE BADIN 

Et toy, à la turquine, 
Depuis les rains jusque au colet? 
ii. 21 



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246 



FARCE 



LA GHAMBERIERE 

Ah ! que mauldit soit le valet, 
Tousjours se moquera de moy ! 

LE GOUSTURIER 

Ma dame, je suis en esmoy, 
Si nous le fendrons par devant. 

LA JEUNE 

Hé ! ouy, ouy, que Dieu vous avant, 
C'est le mieux comme il m'est advis. 

LE BADIN 

Veux-tu le tien au pontlevis? 
Descousu jusque auprès du ventre. 
Tout ainsy? 

LA GHAMBERIERE 

Qu'en mal an tu entre, 
1 90 Ta parolle est par trop vilaine . 

LE BADIN 

Le corps est joignant de l'aine, 
Et la pointe sur le margault. 



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A CINQ PERSONNAGES 24? 



LE COUSTDRIER 

Or ça ! mesurer fault le bault, 
Vostre croissée est assez grande . 

LA JEUNE 

Ah ! c'est une chose gallande, 
Faites-moy la manche poupine. 

LA CHAMBERIERE 

Fais le mien à la marlotine, 
Badin, tu auras un escu. 

LE BADIN 

Depuis le talon jusqu'au cul, 
J'entens toujours bien la manière. 
Et sus ! dressez-vous, chamberiere, 
Que je prenne un peu mes longuesses ; 
Ils ont bien sept quartiers de fesses, 
Ces grosses garces mamelues . 
Quant quelques povres trupelus 
Leur font faire la tournebouelle, 
Ils cherchent toute leur mouelle, 
La substance ils ne faillent pas . 
La pointe sera-t-elle assez bas, 
Là en droit? 



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FARCE 



LA GHAMBERIERE 

Ah qu'il est friant ! 
Toujours fait quelque cas riant ; 
Encor plus longue la demande 

LE BADIN » 

Vertu bieu ! 

LE GOUSTURIER 

Je vous fais demande, 
De velours la voulez bordée? 

LA VIEILLE 

Ainsy vous l'ay-je commandée, 
Nous en avons tout d'achept'é. 

LA JEUNE 

Ne me faites pas lascheté, 
Serclez moy la mienne par bas. 

LE GOUSTURIER 

Je le veux bien. 

LE BADIN 

Mais par esbas, 



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A CINQ PERSONNAGES 



249 



220 Voulez-vous bien que je vous sangle 
Le ventre? 

LA CHAMBERIERE 

Je veux le corps sanglé 
Et que la pointe serre fort. 

LE BADIN 

Je veux mourir de laide mort, 
Si le cas ne vient de mesure . 
Dressez-vous droit que je mesure 
La grandeur du bas un petit ? 

LA CHAMBERIERE 

Hé! hé! 

LE BADIN 

Vous me faites apetit, 
Me faisant dresser la palette. 
Mais laissez-moy prendre, fillette, 
230 Un peu ma mesure à loisir. 

LA CHAMBERIERE 

Trop me faites de déplaisir, 
De me toucher en cet endroit . 



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250 



FARCE 



LE BADIN 

Si faut-il que vous teniez droit. 
Hault les bras ! 

LA GHAMBERIERE 

Là. 

LE BADIN 

Dea! c'est cela. 
Je suis bien joyeux, car voilà 
Ma mesure toute parfaite. 

LA CHAMBERIERE 

Or que ma besongne soit faite 
Demain au matin . 

LE BADIN 

Bien! 

LA GHAMBERIERE 

Adieu . 

LE BADIN 

Saint Jeban, j'esviteray le lieu. 
240 Au moins le drap me demoura. 



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A CINQ PERSONNAGES 251 

Après moy âme ne courra. 
Autant ay-je icy qu'à Paris 

LA JEUNE 

Avez- vous fait? 

LE GOUSTURIER 

Mais que j'aye pris 
Un petit des bras la longueur. 
C'est fait, Madame . 

LA VIEILLE 

Qu'en bonheur 
Puisse estre le cas achevé. 

LE COUSTURIER 

Or demain après le Salve, 
Apportez du bon pour asouer. 

LA JEUNE 

Adieu, cousturier. 

LE COUSTURIER 

Le bon souer. 
Je nren voys commencer à coultre. 



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FARCE 



LE BADIN 

Dessus l'estably s'en va souer . 
Adieu, cousturier. 

LE COUSTURIER 

Le bon souer. 

LA VIEILLE 

Nous vous viendrons demain revoir, 
Mais gardez que ne passions oultre. 

TOUTES ENSEMBLE 

Adieu, cousturier. 

LE COUSTURIER 

Le bon souer. 
Je m'en voys commencer à coultre . 

LE BADIN 

Dictes, ne faictes pas descoultre 
Vos habits. Donnez la chanson . 

LA CHAMBERIERE 

Hé ! tu es assez bon garçon, 
Point tu ne seras escondmt . 



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A CINQ PERSONNAGES 



LA VIEILLE 

Or commençons, puisqu'il a dit. 
En prenant congé de ce lieu, 
Chantons, amys, pour dire adieu. 



FIN 



T. II 



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22 



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FARCE 

DU VIEIL AMOUREUX ET DU JEUNE AMOUREUX 



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NOTICE 

SUR 

LA FARCE DU VIEIL AMOUREUX 

ET DU JEUNE AMOUREUX 



Cette farce est, à proprement parler, ce 
que, dans le langage du temps, on appe- 
lait un débat. Le débat du jeune et du 
vieil, c'est-à-dire un dialogue entre un 
jeune et un vieil amoureux. Le jeune est 
gai et expose les raisons de sa gatté ; il ne 
cesse de répéter que la vie est douce et 
l'amour agréable. Le vieux n'est pas de cet 
avis, a Les temps sont durs, dit-il. et Pa- 
mourne sourit qu'à ceux qui ont la bourse 
h. n 



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258 



FARCE 



pleine. » L'un dit : Je chante, et Pautre : Je 
crie , hélas ! Le jeune fait constamment 
l'éloge des femmes; le vieil n'en saurait 
dire trop de mal. 

Il en est ainsi dans la vie : nous ne 
louons les choses qu'autant qu'elles con- 
viennent à notre âge, à nos goûts ou à 
nos idées. 



§3R 



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FARCE 

A» DEUX PERSONNAGES 

DU VIEIL AMOUREUX 

ET 

DU JEUNE AMOUREUX 



le vieil commence en chantant. 

1 Vray Dieu, qu'amoureux ont de peine ! 
Par Dieu ! j'aymasse mieux la mort. 
Sur moy n'y a ne nerf ne veine, 
Qui ne se sente de remort. 
Ainsy amour amoureux mort, 
Mortellement mourant au monde, 
Comme moy qui vault quasy mort 
Pour avoir mené vye immunde, 
Et chassé chasteté très munde , 
\ 0 En prenant mortelle habitude, 



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FARCE 



Avec honneur qui l'homme esmunde, 
De sancté et de rectitude. 
Pour plaisir, j'ay solicitude, 
Pour soulas, désolation, 
Pour chagrin, toute amaritude, 
Pour gloire, malédiction, 
Desplaisir pour mundanité, 
Voilà la rétribution 
D'amours et la méchanceté . 
20 Fol amour cause iniquité, 
Honte, reproche, vilennye. 
Fol amour en captivité 
Rend un chacun . 

LE JEUNE AMOUREUX 

Je le vous nye, 
Damours vient plaisance infinye, 
Passe temps, soulas et plaisir . 

LE VIEIL AMOUREUX 

Mais qu'on ayt la bourse garnye, 
On a des dames à choisir. 

LE JEUNE 

Dames prennent plus leur plaisir 
A plaisanter et dire bien . 



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A DEUX PERSONNAGES 



261 



30 En amours n'y a si non bien, 
Nul mal n'y a qui ne luy pense. 

LE VIEIL 

Pour faire la grosse despense, 
Amours veut toujours qu'on apporte 
Chaine, bague de mainte sorte, 
Ou point ne se contentera. 

LE JEUNE 

Tais-toy, car avant que je sorte 
Ton mauvais blason te cuira . 

le vieil chante. 

Jamais amoureux bien n'aura. 

LE JEUNE 

Sy aura. 

LE VIEIL 

En quelle manière ? 

LE JEUNE 

40 Nuit et jour se resjouyra . 

LE VIEIL 

Quant de ses amours jouyra, 
D'or luy fauldra une minière . 



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FARCE 



LE JEUNE 

Voyre! si c'est une routière 

Qui rencontre quelque bemy ; 

Mais dame de cœur bien entière, 

Ne voit pas celuy à demy 

Pour qui el chante à voix plenière : 

« Le jour que je voy mon amy. » 

LE VIEIL 

J'en ay tant deuil et tant d'ennuy. 

LE JEUNE 

J'en ay tant plaisir et soulas. 
le vieil 

J'en cloche. 

LE JEUNE 

Et j'en suis resjouy, 
Tout regaillardy. 

LE VIEIL 

Et moi las. 

LE JEUNE* 

Je chante. 



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A DEUX PERSONNAGES 



263 



LE VIEIL 

Et je crye hélas ! 
Caché dedans un reculet. 

LE JEUNE 

Suis-je gay ! suis-je gentillet ! 

LE VIEIL 

Suis-je pensif et douloureux ! 

LE JEUNE 

Ah ! je suis un enfant de let! 

LE VIEIL 

Et moy un pauvre souffreteux, 
Pale, défiait, maigre, piteux, 
GO Qui ne me puis plus soutenir. 

LE JEUNE 

Veux-tu ce blason soutenir 
D'amours? 

LE vieil 

Je n'en puys pas bien dire, 
Car il m'a fait tel devenir. 



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264 



FARCE 



LE JEUNE 

Si tu t'y feusses sceu conduyre, 
Il t'eust fait florir et reluyre, 
Repestre en repos et gésir. 

LE VIEIL 

Il m'a fait par une destruyre, 
Dont j'ay fait ce chant à loisir. 

(12 chante.) 

Las de mon triste desplaisir, 
70 A vous, belle, je me complains. 
Vous m'y traictez mai mon désir, 
Sy très avant que je m'en plains. 

Entre vos mains. 

Par mons, par plains, 

Sans nul confort, 

Dont sur ma foy, 

Comme je voy, 

Vous avez tort. 
Maint homme en est croche et tout tort 
80 Dénué de bien et santé. 

LE JEUNE 

Maint homme en est gaillard et fort, 
Possédant des biens à planté. 



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A DEUX PERSONNAGES 



LE VIEIL 

Maint homme en est bien suplantê. 

LE JEUNE 

Chacun doibt en amours hommage, 
Car de luy vient force et beaulté . 

LE VIEIL 

Mais deuil, desplaisir et dommage. 
Dido, la royne de Carthage, 
S'occit par follement aymer ; 
Ëleander s'en mit en nage, 
90 Tant qu'il fut noyé en la mer. 

LE JEUNE 

Qui doibt les sots amans blâmer, 
Qui ne sçavent que vault amour, 
Et les sages vont estimer, 
Qui d'aymer ont congneu le tour. 

LE VIEIL 

Ne voys-tu point de jour en jour 
Comme plusieurs en sont gastés? 

LE JEUNE 

Ah! ils ont fait trop long séjour 

T. II. 23 



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266 



FARCE 



Avec les filles assotés, 
S'ils eussent congneu les bontés 
1 00 Des sages femmes et honnestes, 
Pas ne fussent si mal traictés, 
Si vilains, ne si deshonnestes. 

LE VIEIL 

Femmes nous font bestes, 
Et rompre les testes, 
Par cris et tempestes, 
Et tousjours sont prestes, 
Nous estre nuysantes. 

LE JEUNE 

Femmes sont segrettes, 
En amour discrètes, 
110 Doulces, mignonnettes, 
Et tant bien parlantes. 
Ils sont avenantes, 
Gleres et reluysantes, 
Trop plus suffisantes, 
Que nous bien disantes 
Et plus agréables. 

LE VIEIL 

S'ils sont élégantes, 
Ils sont arrogantes, 



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A DEUX PERSONNAGES 



267 



Et si sont plaisantes, 
Mal sont profitables 
120 Et trop variables. 

LE JEUNE 

Ils sont amiables . 

LE VIEIL 

Ils sont tous les deables. 

LE JEUNE 

Ils sont secourables . 

LE VIEIL 

Mais desraisonnables , 
Et trop hault montés. 

LE JEUNE 

Or ça l qui nous a élevés, 
Nourris petits, alimentés, 
Neteyés, lavés et frottés, 
130 Tenus nets de corps et d'âmes? 
Respons. 

LE VIEIL 

Hé ! sont esté les femmes. 



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2f)K 



FARCE 



LE JEUNE 

Or ça, qui nous a aletés, 

Donné le papin, les totés, 

Et de doulces dragées les drames ? 

Respons. 

LE VIEIL 

Hé ! sont esté les femmes. 

LE JBUNE 

Amour rend l'homme tout gaillard, 

Et si fait sage le paillard, 

Le sot sage, et le vieil honneste. 

LE VIEIL 

Jamais amour n'entra en teste 
149 De vilain, je le congnoys bien. 

LE JEUNE 

Tais-toy donc. 

LE VIEIL 

Je ne dis plus rien. 

LE JEUNE 

Et conclus . 



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A DEUX PERSONNAGES 269 
LE VIEIL 

Que c'est le moyen 
De paix, de grâce et de concorde, 
De mariage le moyen, 
L'ennemy de noyse et discorde ! 
Par luy avons miséricorde 
De Dieu et sa mère Marye. 

LE JEUNE 

Il est certain, je me recorde, 
Par amour l'homme se marye. 

LE VIEIL 

Par amour mainte compaignie 
S'assemble à faire bonne chère. 
Icy fais fin de ma matière, 
Et me rends du tout en amours. 
Combien qu'amour m'a esté chère, 
J'en ay porté mille doulours, 
Je m'en voys passer mes courroux, 
En prenant congé de ce lieu, 
En vous disant à tous adieu. 

FIN 

u. 23 



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FARCE JOYEUSE 

DU MEUNIER 



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v^} 



NOTICE 



FARCE JOYEUSE DU MEUNIER 
dont le Diable emporte l'âme en enfer. 



En 1496, les notables de Seurre, petite 
ville du département de la Côte-d'Or , 
parmi lesquels figuraient messire Oudot 
Gobillon, vicaire de l'église de Saint-Mar- 
tin de Seurre, honorables personnes Au- 
bert du Puy, Pierre l'Oiseleur, Pierre Gril- 
lot, Georges Cazote, Pierre Gramelle, dit 
Belleville , Bourgeois, et maître Pierre 



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274 



FARCE JOYEUSE 



Massoyer, recteur des écoles dudit Seurre , 
s'accordèrent avec maître Andrieu de la 
Vigne, natif de la Rochelle et facteur du 
roy, pour faire et composer un registre où 
serait couchée et déclarée par personnages, 
la vie de Monseigneur saint Martin, patron 
du lieu, afin d'en donner une représenta- 
tion, et qu'en la voyant représenter, le 
peuple pût entendre et comprendre com- 
ment le noble patron de Seurre avait, de 
son vivant, vécu saintement et dignement. 
Les préparatifs de ce mystère qui , pour 
être joué, ne demandait pas moins de 
trois journées, traînèrent beaucoup en 
longueur. Le jour de la représentation fut 
remis plusieurs fois, tantôt, dit le procès- 
verbal auquel nous empruntons ces faits, 
à cause des gens d'armes qui passaient et 
des bruits de guerre qui arrivaient de tous 
côtés, tantôt parce que l'époque de la mois- 
son étant venue, chacun était retenu par 
les travaux des champs. Enfin , l'époque 
ayant été définitivement fixée, une foule 
considérable accourut de tous les villages 
voisins pour assister à ce grand spectacle ; 



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DU MEUNIER 



275 



mais on avait compté sans la pluie , qui 
tomba dès le matin avec une telle abon- 
dance, qu'on aurait dit que les cataractes 
du ciel étaient ouvertes ; impossible môme 
d'achever les préparatifs nécessaires à la 
mise en scène, qui devaient se faire au mi- 
lieu d'un grand parc. — Cependant, sur les 
trois heures du soir, la pluie cessa et le 
maire ordonna que , pour donner quelque 
satisfaction à la foule, accourue de loin, 
on irait jouer une farce sur le parc. Cette 
farce fut celle du Meunier et de la Meu- 
nière, qui fut si bien jouée, que chacun 
s'en contentit entièrement. 

Cette pièce ne se distingue pas par un 
mérite littéraire de premier ordre. L'esprit 
qu'on y déploie est peut-être un peu tri- 
vial ; mais elle est fort intéressante au point 
de vue de l'étude des mœurs à la fin du 
xv* siècle. N'oublions pas qu'elle était jouée 
sur l'initiative du clergé, du moins que des 
prêtres figuraient à la tête de l'entreprise, 
et que, représentée devant des paysans, 
cette violente satire contre les meuniers 
devait avoir un très-grand succès. 



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276 FARCE JOYEUSE 

Cette farce n'a été imprimée qu'une fois, 
en 1831 , par M. F.Michel, et tirée à un petit 
nombre d'exemplaires. 



f5R 



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FARCE JOYEUSE 

DU MEUNIER 
dont le Diable emporte l'âme en enfer 
et est à trois personnages 

LE MEUNIER , LA MEUNIERE, LE CURÉ ET LES DIABLES 



le m un ier , couché en un lit comme malade. 

Or, suis-je en piteux desconfort, 

Par maladie grieve et dure, 

Car espoir je n'ai de confort 

Au grand mal que mon cueur endure. 

LA FEMME 

Fault-il pour un peu de froidure 
Tant de fatras mettre dessus ! 
t. ii. 24 



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•278 



FARCE JOYEUSE 



LE MUNIE R 

J'ay moult grand peur, si le froid dure 
Qu'aulcuns en seront trop deceus. 
Ah ! les rains. 

LA FEMME 

Sus, de par Dieu, sus ! 
10 Que plus grand mal ne vous coppie. 

LE MUNIER 

Femme, pour me mettre au dessus, 
Baillez-moy. . . 

LA FEMME 

Quoy? 

LE MUNIER 

La gourde pie, 
Car mort de si très-près me suie, 
Que je vaux moins que trépassé. 

LA FEMME 

Mais qu'ayez tousjours la roupie 
Au nez. 

LE MUNIER 

C'est bien compassé, 



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DU MEUNIER 



279 



Avant que j'aye au moins passé 

Le pas, pour Dieu ! donnez m'à boire. 

Ah Dieu ! le ventre. 

LA FEMME 

Hé! voire! voire! 
20 J'ay un très-gracieux douaire, 

De vostre corps quant bien j'y pense. 

LE M UN 1ER 

Le cueur me fault. 

LA FEMME 

Bien le doy croire . 

LE MUNIER 

Mort suis pour toute recompense, 
Si je ne reforme ma panse 
De vendange délicieuse. 
Ne me plaignez point la dépense, 
Femme, soyez-moy gracieuse 

LA FEMME 

Estre vous doibz malicieuse, 
A tout le moins ceste journée, 
30 Car vie trop mal gracieuse, 
M'avez en tout temps démenée. 



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2S0 



FARCE JOYEUSE 



LE MUNIER 

Femme ne sçay de mère née, 
Qui soit plus aise que vous estes. 

LA FEMME 

Je suis bien la mal assenée, 

Car nuit ne jour rien ne me faictes. 

LE MUNIER 

Aux jours ouvriers et jours de festes, 
Je fays tout ce que vous voulez, 
Et tant de petits tours. 

LA FEMME 

Parfaictes. 

LE MUNIER 

Haaa ! 

LA FEMME 

Dites tout. 

LE MUNIER 

Vous voilez. 

40 Vous venez ci. . . 



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DU MEUNIER 



281 



LA FEMME 

Quoy? 

LE MUNIER 

Vous allez 
Puis chez Gaultier, puis chez Martin, 
L'un gauldissez, l'autre gallez, 
Aultant de soir que de matin. 
Pensez que dans mon advertin, 
Les quinze joyes n'en ay mye. 

LA FEMME 

L'avez vous-dit, vilain mastin ! 
Vous en aurez. 

(Elle fait semblant de le battre. 

LE MUNIER 

Dictes, ma mye, 
Au nom de la Vierge Marie, 
Maintenant ne me battez point. 

la femme (Elle le bat.) 

50 Tenez ! tenez ! 

LE MUNIER 

Qui se marie 

n. 24 



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1 FARCE JOYEUSE 

Pour avoir un tel contrepoint. 
Je ne sçay robe ne pourpoint, 
Qui tantost n'en fust décousu. 

(Il pleure.) 

LA FEMME 

Cela vous vient trop bien à point. 

LE MUNIER 

Ah ! c'est le bon temps qu'avez eu, 
Et le bien. 

LA FEMME 

Gomment? 

LE MUNIER 

Ho ! Jésus ! 
Que gagnez- vous à me ferir? 

LA FEMME 

Il en est taillé et cousu. 

LE MUNIER 

Vous me voulez faire mourir ; 
60 Mais si je puis un coup guérir, 
Mort bieu ! je fe 



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DU MEUNIER 



283 



LÀ FEMME 

Vous grongnez. 

Encore faictes. 

LE MUNIER 

Requérir 

Mains joinctes vous veulx. 

la femme (Elle le frappe.) 

Empoignez 



Geste prune. 

LE MUNIER 

Or besongnez, 
Puis que vous l'avez entrepris. 

LA. FEMME 

Par la croix bieu ! si vous fougnez ! 

LE MUNIER 

Ah ! povre munier, tu es pris, 

Et trop à tes dépens repris. 

Que bon gré saint Pierre de Romme. 

LA FEMME 

Vous m'avez le mestier appris 
A mes despens, mais. . . . 



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FARCE JOYEUSE 



LE MUNIER 

En somme, 
De grand despit vecy ung homme 
Mort pour toute solution. 

LA FEMME 

Je n'en donne pas une pomme. 

LE MUNIER 

En l'honneur de la Passion, 
Je demande confession 
Pour mourir catholiquement. 

LA FEMME 

Mais plustost la potation, 
Tandis qu'avez bon sentiment. 

LE MUNIER 

Vous vous mocquez, par mon serment, 
Quand mes douleurs seront esteinctes, 
Se par vous vois à dampnement, 
A Dieu je feray mes complaintes. 

LE CURÉ 

11 y a des sepmaines maintes 
Que je ne vis nostre muniere, 



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DU MEUNIER 



285 



Pour ce, je m'en vois aux actainctes 
La trouver. 

LE MUN1ER 

Coustumiere, 
A ces te extrémité dernière, 
Estes trop. 

LA. FEMME 

Qu'est-ce que tu dis? 

LE M UN 1ER 

90 Je conteray vostre manière, 
Mais que je soye en paradis. 
Avoir tous les membres roidis, 
Estre gisant sur une couche, 
Et battre un homme 1 je mauldis 
(Il pleure.) 
L'heure que jamais bonne bouche. 

LA FEMME 

Fault-il qu'encore je vous touche? 
Qu'est cecy? faictes-vous la beste? 

LE MUNIER 

Laissez m'en paix, trop fine mouche 
Estes pour moy. 



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286 



FARCE JOYEUSE 



LA FEMME 



Ho ! qui barbette? 
100 Qui gronde? qui ? qu'est cecy ? qu'est ce? 
Comment, serai-je point maitresse 
Que meshuy plus ung mot je n'oye. 



LE CURE 



Madame, Dieu vous doingt liesse, 
Et planté d'escus vous envoyé ! 



LA FEMME 

Bien venu soyez-vous, j'avoye 
Vouloir de vous aller quérir, 
Et maintenant partir debvoye. 

LE CURÉ 

Pourquoy ? 

LA FEMME 

Pour ce que mourir 
Veult mon mary, dont j'en ay joye. 

LE CURÉ 

110 II fauldra bien qu'on se rejoye, 
S'ainsy est. 



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DU MEUNIER 



287 



LA FEMME 

Chose toute seure. 
A son cas fault que l'on pourvoye, 
Sagement sans longue demeure. 

LE MUNIER 

Helas ! hé ! fault-il que je meure, 
Hon, non, hon, ainsy meschamment. 

(Il pleure.) 

LA FEMME 

Jamais il ne vivra une heure, 
Regardez. 

LE CURÉ 

Ah ! par mon serment ! 
Est-il vray ! A Dieu vous commant, 
Munier, hah ! il est despeché. 

LA FEMME 

120 Curé, nous vivrons gayement, 
S'il peut estre en terre perché. 

LE CURÉ 

Trop long temps vous a empesché. 



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•288 



FARCE JOYEUSE 



LA FEMME 

Je n'y eusse peu contredire. 

LE M UNIE R 

Que mauldit de Dieu sans péché, 
Toutefoys le puyssé je dire, 
Soit la pu ... . 

LA FEMME 

Qu'est-ce cy à dire 
Comment hé 1 qu'à vous je revoise. 

LE CURÉ 

Gauldir fauldra. 

LA FEMME 

Chanler. 

LE CURÉ 

Et rire. 

LA FEMME 

Vous me verrez bonne galloise. 

LE CURÉ 

130 Et moy gallois. 



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DU MEUNIER 



289 



LA FEMME 

Sans bruit. 

LE CURÉ 

Sans noyse. 

LA FEMME 

Des tours ferons un million. 

LE CURÉ 

De nuit et de jour. 

LE MUNIBR 

QueJ bourgeoise ! 
T'en as bien, povre munier. 

LA FEMME 

Hon! 

LE MUNIER 

Robin a trouvé Marion, 
Marion toujours Robin treuve, 
Helas ! pourquoy se marie-on ! 

LA FEMME 

Je feray faire robe neuve, 
t. ii 25 



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290 



FARCE JOYEUSE 



Si la mort un petit s'espreuve 
A le me mettre d'une part. 

LE CURÉ 

140 Garde n'a que de là se meuve, 
Ne que plus en face départ, 
Ma mye. 

(R V embrasse.) 

LE MUNIBR 

Le deable y ait part 
A l'amitié tant elle est grande ! 
Ah ! en fait-on ainsy ? 

LA FEMME 

Paix ! coquart. 

LE CURÉ 

Un doux baiser je vous demande. 

(Il V embrasse.) 

LE MUNIER 

Orde vieille putain, truande, 

En faictes-vous ainsy non mye ? 

Vecy pour moy trop grand esclandre, 

Par le saint sang 1 
(// fait semblant de se lever, et la femme 
vient à lui et fait semblant de le battre.) 



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DU MEUNIER 



291 



LA FEMME 

Quoy? 

LE MUNIER 

Rien, ma mye. 

LA FEMME 

150 Hon! 

LE MUNIER 

C'est le cueur qui me fremie 
Dedans le corps et me fait braire, 
Il a plus d'une heure et demie. 

LE CURÉ 

Mais comment vous le faictes taire ? 

LA FEMME 

S'il dit rien qui me soit contraire, 
Couser le fais à mon devis. 

LE CURÉ 

Vous avez pouvoir volontaire 
Dessus luy, selon mon advis. 

LE MUNIER 

Congé me fault prendre des vifs, 



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292 



FARCE JOYEUSE 



Et m'en aller aux trépassés, 
160 De bon cueur et non pas en vis, 

Puisque mes beaux jours sont passés. 

LE CURÉ 

Avez- vous rien? 

LA FEMME 

Assez, assez, 
De cela ne fault faire doubte. 

LE MUNIER 

Qu'est-ce que tant vous rabassez? 

LA FEMME 

Je cuyde, moy, que tu radoubte. 

LE MUNIER 

Vous semble-il que je n'oy goutte? 
Si fays dea ! qui est ce gallant ? 
Il vous guérira de la goutte, 
Bien le sçay. 

LA FEMME 

C'est vostre parent, 
170 A qui vostre mal apparent 
A esté par moy figuré. 



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DU MEUNIER 



293 



LE MUNIER 

Ce lignaige est trop différent. 

LA FEMME 

Par Dieu ! non est. 

LE MUNIER 

C'est bien juré, 
Comment deable nostre curé 
Est-il de nostre parentaige ? 

LÀ FEMME 

Quel curé? 

LE MUNIER 

C'est bien procuré. 

LA FEMME 

Par mon ame ! 

LE MUNIER 

Vous dictes raige. 

LA FEMME 

Hee? 

n. 25 



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FARCE JOYEUSE 



LE MUNIER 

Ho! 

LA FEMME 

Tant de langaige, 
C'est-il à payne d'un escu. 

LE MUNIER 

Saint Jehan ! s'il est de mon lignaige, 
C'est du cartier devers le eu, 
Je sçay bien que je suis cocu, 
Mais quoy ? Dieu me doint patience. 

LA FEMME 

Ah ! paillart, est-ce bien vescu ? 
Me dire ainsi ma conscience ? 
Vous verrez vostre grant science, 
Car je le vois faire venir*. 

(Elle vient au curé.) 

LE CURÉ 

Qu'y a-t-il ? quoy? 

LA FEMME 

Faictes silence. 
Pour mieux à nos fins parvenir, . 



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DU MEUNIER 



295 



190 Bonne myne vous fault tenir, 
Quand serez devant mon villain, 
Et veuillez toujours maintenir 
Qu'estes son grand cousin germain, 
Entendez-vous ? 

LE CURÉ 

Ouy. 

LA FEMME 

La main 

Luy mettrez dessus la poictrine, 
En luy affirmant que demain 
Le doibt venir voir sa cousine, 
Et adviendra quelque voisine 
Pour luy donner allégement; 
200 Mais il vous fault légèrement 
De ceste robe revêtir, 
Et ce chapeau ! 

LE CURÉ 

Par mon serment ! 
Pour faire nostre effort sortir, 
Si vous ne voyez bien mentir, 
Je suis content que Ton me pende, 
Sans plus de ce cas m'advertir. 



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FARCE JOYEUSE 



LE MUNIER 

Ah ! très orde, vieille truande, 

Vous me baillez du cambouys, 

Mais quoy 1 vous en paierez l'amende, 

Se jamais de santé jouys. 

Qu'en cecy dea ! je m esbays 

Qui deable la tient, somme toute, 

J'en despecheray le pays 

Par le sang bien ! quoy qu'il me couste. 

LE CURÉ 

Que faictes-vous là? 

LA FEMME 

J'escoute 
La complainte de mon badin. 

LE CURÉ 

Il fault qu'en bon train on le boute. 
Dieu vous doingt bon jour ,mon cousin . 

LE MUNIER 

Il suffit bien d'estre voisin, 
Sans estre de si grand lignaige. 

LA FEMME 

Regardez ce gros lymousin 



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DU MEUNIER 297 

Qui a toujours son hault couraige ! 

Parlez à vostre parentaige, 

S'il vous plaist, en luy faisant feste. 

LE CURÉ 

Mon cousin, quelle est rostre raige? 

LE MUNIER 

Hai ! vous me rompez la teste . 

LA FEMME 

Par mon serment, c'est une beste 
Ne pensez point à ce qu'il dit, 
' Je vous en prie. 

LE MUNIER 

Cette requeste 
230 Aura devers luy bon crédit. 

LE CURÉ 

Vous ai-je meffait ne mesdit, 
Mon cousin, d'où nous vient cecy ? 

LA FEMME 

Sus! sus! que de Dieu soit mauldit, 
Le vilain, et parlez icy. 



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298 FARCE JOYEUSE 

LE MON 1ER 

Laissez-m'en paix. 

LA FEMME 

Est-il ainsy ? 
Voyre ne parlerez-vous point? 

LE MUNIER 

J'ay de dueil le corps tout transy. 

LE CURÉ 

Par ma foy î je n'en doute point; 
Où est-ce que le mal vous point? 
240 Parlez-moy, je vous en prie. 

LE MUNIER 

Las ! mettez-moy la teste à point, 
Car la mort de trop près m'espie. 

LA FEMME 

Parlez à Regnault Croque Pie, 
Vostre cousin, qui vous vient voir. 

LE MUNIER 

Croque Pie î 



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DU MEUNIER 



299 



LÀ FEMME 

Ouy pour vous voir, 
Pour faire vers vous son debvoir 
Il est venu legièrement. 

LE MUNIER 

Ce n'est-il pas. 

LA FEMME 

Ce est vrayment. 

LE MUNIER 

Ha 1 mon cousin, par mon serment, 
250 Humblement mercy vous demande 
De bon cueur. 

LE CURÉ 

Et puis comment, 
Mon cousin, dictes-moy, s'amende 
Vostre douleur? 

LE MUNIER 

Elle est si grande 
Que je ne sçay comment je dure. 

LE CURÉ 

Pour scavoir qui se recommande, 



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300 



FARCE JOYEUSE 



A vous, mon cousin, je vous jure, 
Ma foy dea 1 point ne me parjure ; 
Que c'est Bietris, vostre cousine, 
Ma femme, Jehanne Turelure, 
260 Et Melot, sa bonne voisine, 

Qui ont pris du chemin saisine, 
Pour vous venir reconforter. 

LE MUNIER 

Loué soit la grâce divine, 
Cousin, je ne me puis porter. 

LE CURÉ 

Il vous fault un peu déporter, 
Et penser de faire grant chiere. 

LE MUÂIER 

Je ne me puis plus comporter, 
Tant est ma maladie chiere. 
Femme, sans faire la renchiere, 
270 Mettez à coup la table icy, 
Et luy apportez une chiere ; 
Ci se serra. 

LE CURÉ 

Ah 1 grand merey, 
Mon cousin, je suis bien ainsy, 



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DU MEUNIER 301 

Et si ne veulx menger ne boire. 



LE MUNIER 

J'ay sy très grand douleur par cy. 

LE CURÉ 

Ah! cousin, il est bien à croire, 
Mais s'il plaist au doux roy de gloire, 
Tantost recouvrerez santé. 

LA FEMME 

Je voys quérir du vin. 

LE MUNIER 

Voire ! voire ! 
280 Et apportez quelque pasté. 

LA FEMME 

Oncques de tel ne fut tasté. 
Séez-vous. 

LE MUNIER 

Cousin, prenez place. 

LA FEMME 

Veecy pain et vin à planté. 
Vous serrez-vous? 

t. h. 26 



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FARCE JOYEUSE 



LE CURÉ 

Sauf vostre grâce. 

LE MUNIER 

Fault-il que tant de myne on face, 
Par le sang bieu ! c'est bien juré. 
Vous vous serrez. 

LE CURÉ 

Sans plus d'espace, 
Que vous ne soyez parjuré! 

LE MUNIER 

Ab 1 si c'estoit nostre curé, 
Pas tant je ne l'en prieroye. 

LE CURÉ 

Hé ! pourquoy ? 

LE HUNIER 

Il m'a procuré 
Aulcun cas que je vous diroye 
Volontiers, mais je n'oseroye 
De peur. 

LE CURÉ 

Dictes hardiment ! 



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DU MEUNIER 



303 



LE MUNIER 

Non feray, car battu seroye. 

LE CURÉ 

Rien n'en diray, par mon serment. 

LE MUNIER 

Or bien donc, vous sçavez comment 
Ces prestres sont adventureux, 
Et nostre curé mesmement, 
300 Est fort de ma femme amoureux, 
De quoy j'ay le cueur douloureux 
Et rempli de perplexité, 
Car coquu je suis malheureux, 
Bien le sçay. 

LE CURÉ 

Benedicite. 

LE MUNIER 

Le point de mon adversité, 
Gist illec, sans nul contredit; 
Gardez qu'il ne soit recité. 

LE CURÉ 

Jamais. 



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304 



FARCE JOYEUSE 



LA FEMME 

Qu'est-ce qu'il dit ? 
Je suis certaine qu'il mesdit 
310 De moy ou d'aulcun mien amy. 
Ne fait pas? 

LE MUNIER 

Non, par saint Remy. 

LE CURÉ 

Il me disoit qn'il n'a; dormy 
Depuis quatre ou cinq jours en ça, 
Et qu'il n'a si gros qu'un fremy, 
Le cueur ne les boyaux. 

LA FEMME 

Or ça ! 

Beuvez de là, mengez de ça, 
Mon cousin, sans plus de langaige. 

LUCIFER 

Haro ! deables d'enfer, j'enraige ! 
Je meurs de dueil, je pers le sens, 
320 J'ai laissé puissance et couraige, 
Pour la grand douleur que je sens 



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DU MEUNIER 



305 



SATHAN 

Nous sommes bien mille et cinq cens 
Devant toy, que nous veux-tu dire ? 
Fiers, fors, félons, deables puissans, 
Pour tout le monde à mal produire. 

LUCIFER 

Coquins, paillars, il vous fault duyre 
D'aller tout fouldroyer sur terre 
Et de mal faire vous deduyre, 
Que la sanglante mort vous serre. 
S'il convient que je me deffere 
De ceste goufifrureuse lice, 
Je vous mettray sans plus enquerre, 
En un ténébreux maléfice. 

ASTAROTH 

Chascun de nous a son office 

En enfer ; que veux-tu qu'on face? 

PROSERPINE 

De faire nouvel édifice, 

Tu n'as pas maintenant espace. 

ASTAROTH 

Je me contente. 

ii. 26 



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306 



FARCE JOYEUSE 



SATHAN 

Et je me passe 
De demander une aultre charge. 

ASTAROTH 

340 Je joue icy de passe passe, 

Pour mieux faire mon tripotaige. 

BERITH 

Lucifer a peu de langaige, 
En enfer je ne sçay que faire, 
Car je n'ay office ne gaige, 
Pour ma volunté bien parfaire. 

LUCIFER 

Qu'on te puisse aù gibet défaire, 
Fils de putain, ord et immonde ! 
Doncques, pour ton estât refaire, 
Il te fault aller par le monde, 
350 A cette fin que tu confonde 
Bauldement ou à l'aventure, 
Dedans nostre abisme parfonde, 
L'ame d'aulcune créature. 

BERITH 

Puisqu'il faull que ce mal procure, 



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DU MEUNIER 



307 



Dy-moy doncques legierement 
Par où Famé fait ouverture, 
Quand elle sort premièrement ? 

LUCIFER 

Elle sort par le fondement, 

Ne fais le guet qu'au trou du eu. 

BERITH 

360 Ha ! j'en auray subtilement 

Un millier pour moins d'un escu. 
Je m'y en voys. 

LE MUNIER 

D'avoir vescu 
Si longtemps en vexation, 
De la mort est mon corps vaincu. 
Pour toute resolution, 
Doncques sans grant dilation, 
Allez-moy le prestre quérir, 
Qui me donra confession, 
S'il luy plaist, avant que mourir. 

LE CURÉ 

370 Or me dictes, fault-il courir, 
Ou s'y j'yray tout bellement ? 

(Il se va desvettr, et revêtir en curé.) 



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308 



FARCE JOYEUSE 



LE MDNIER 

S'il ne me vient tost secourir, 
Je suis en un piteux tourment. 

BERITH 

Velà mon fait entièrement, 
Munier, je vous voye soulager 
Lame en auray soubdainement, 
Avant que d'icy me bouger. 
Or me fault-il pour abréger, 
Soubz son lit ma place prendre. 
380 Quand l'ame vouldra déloger, 

En mon sac je la pourray prendre. 

(Il se musse soubz le lit du munier à 
tout son sac.) 

LE CURÉ 

Comment dea ! je ne puis entendre, 
Munier, qu'est cecy ? 

LE MUNIER 

A la mort me convient estandre 
Avant que je parte d'icy. 
Pour tant je crye à Dieu mercy, 
Devant que le dur pas passer ; 
Sur ce point mettez-vous icy, 
Et me veuillez tost confesser. 



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DU MEUNIER 



309 



LE CURÉ 

390 Dictes. 

LE MUNIER 

Vous devez commencer, 
Me disant mon cas en substance. 

LE CURÉ 

Hé ! comment ! je ne puis penser 
L'effet de vostre conscience ? 

LE MUNIER 

Ah ! curé, je pers patience. 

LE CURÉ 

Commencez toujours ne vous chaille, 
Et ayez en Dieu confiance. 

LE MUNIER 

Or ça ! donques vaille que vaille, 
Quoyqu'à la mort fort je travaille, 
Mon cas vous sera relaté. 
400 Jamais je ne fus en bataille, 

Mais pour boire en une boutaille , 
J'ay tousjours le mestier hanté. 
Ainsy fut d'hiver, fut d'esté, 
J'ay bons champions fréquenté, 



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310 



FARCE JOYEUSE 



Et gourmets de fine vinée, 
Tant que rabattu et conté 
Quelque chose qu'il m'ait costé. 
J'ay bien ma face enluminée ; 
Après tout le long de Tannée, 

410 J'ay ma volonté ordonnée 

Comme sçavez à mon moulin, 
Où plus que nul de mère née, 
J'ay souvent la trousse donnée, 
A Gaultier, Guillaume ou Colin, 
Et en sacs de chanvre ou de lin, 
De bled valant plus d'un carlin, 
Pour la doubte des adventures, 
A tout un petit picotin, 
Je pris du soir et du matin, 

420 Tousjours d'un sac doubles moustures, 
De cela ûs mes nourritures, 
Et rabattis mes grans coustures, 
Quoy qu'il soit faisant bonne mine, 
Somme de toutes créatures, 
Pour supporter mes forfaictures, 
Tout m'estoit bon bran et farine. 

LE CURÉ 

Celuy qui est hault domine, 
Et qui les mondains enlumine, 
Vous en doint pardon par sa grâce. 



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DU MEUNIER 31 * 

LE MUNIER 

430 Mon ventre trop se détermine, 
Helas ! je ne sçay que je face, 
Ostez-vous. 

LE CURÉ 

Ah ! sauf vostre grâce ! 

LE MUNIER 

Ostez-vous, car je me conchye. 

LE CURE 

Par saint Jehan! sire, prou vous face. 
Fy ! 

LE MUNIER 

C'est merde refraichie. 
Apportez tost une brechie, 
Ou une tasse, sans plus braire, 
Pour faire ce qu'est nécessaire ; 
Las ! à la mort, je suis es lit. 

LA FEMME 

440 Pensez si vous voulez de traire, 
Pour mieux prendre vostre delict, 
Vostre cul au dehors du lit, 
Par là s'en peult vostre ame aller*. 



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312 



FARCE JOYEUS£ 



LE MUNIER 

Hehts ! regardez si volez, 
La verrez point parler d'atemps. 
(Il met le cul hors du lit, et le diable tend 
son sac ce pendant qu'il chie dedans, 
puis s'en va criant et hurlant.) 

BERITH 

J'ay beau gaulder, j'ay beau galler, 
Roy Lucifer à moy entens, 
J'en ay fait de si maulx contens, 
Que proye nouvelle j'apporte. 

LUCIFER 

450 Attens un bien petit, attens, 
Je te voye faire ouvrir la porte. 
Diables d'enfer, sus, qu'on luy porte 
Une chauldiere en ce lieu cy, 
Et sachez comme se comporte 
Le butin qu'il admayno icy. 
(Ils luy apportent une chauldiere, puis il 

verse son sac, qui est plein de bran 

meuble.) 

SATHAN 

Qu'est cela ? 



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DU MEUNIER 



313 



PROSERPINE 

Que deable est cecy? 
Ce semble merde toute pure ! 

LUCIFER 

C'est mon ! je la sens bien d'icy. 
Fy ! fy ! ostez-moy cette ordure. 

BERITH 

460 D'un munier remply de froidure, 
Voy en cy l'ame toute entière ! 

LUCIFER 

D'un munier ? 

SATHAN 

Fy î quelle matière ! 

LUCIFER 

Par où la prins-tu ? 

BERITH 

Par derrière, 
Voyant le eu à descouvert. 

LUCIFER 

Or qu'il n'y ait coing ne caverne 

t. il. 27 



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814 



FARCE JOYEUSE 



D'enfer que tout ne soit ouvert, 
Un tour nous a baillé trop vert. 
Brou ! je suis tout enpuanti, 
Tu as mal ton cas recouvert. 

SATHAN 

470 Oncques tel chose ne senty. 

LUCIFER 

Sus à coup i qu'il soit assorty, 
Et battu très vilainement. 

SATHAN 

Je luy feray mauvais party. 

(Ils le battent.) 

BERITH 

A la mort ! 

LUCIFER 

Frappez hardiment î 

BERITH 

A deux genoux très humblement, 
Lucifer, je te crye mercy, 
Te promettant certainement, 
Puisque congnoys mon cas ainsy, 



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DU MEUNIER 



.315 



Que jamais n'apporteray cy, 
480 Ame de munier ne muniere. 

LUCIFER 

Or te souviengne de cecy, 
Puisque tu as grâce planiere, 
Et garde d'y tourner arrière, 
D'aultant que tu ayme ta vie. 
Aussy devant ne de costiere, 
Sur payne de hayne assouvie, 
Deffens que nully par envie 
Désormais l'ame ne procure 
De munier estre icy ravie. 
490 Car ce n'est que bran et ordure. 



FIN 



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TABLE DES MATIÈRES 



CONTENUES DANS CE VOLUME 



Pages 



Farce nouvelle de Colin, fils de Thénot 5 

Farce nouvelle à cinq personnages, la Mère, la 

Fille, le Tesmoing, l'Amoureux et l'Official. 34 

Farce du Poulier, à quatre personnages 59 

Farce du Poulier, à six personnages 89 

Farce du Rétraict 145 

Farce des trois Commères et un Vendeur de 

livres 187 

Farce du Vendeur de livres et deux Femmes. 207 
Farce du Cousturier et son Varlet, deux jeunes 

filles et une Vieille 225 

Farce du vieil Amoureux et du jeune Amou- 
reux 25ï 

Farce joyeuse du Meunier, dont le diable em- 
porte l'âme en enfer 271 



FIN DE LA TABLE DU TOME II. 



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J 



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